Bougé(e), d’Albane Gellé, lu par Juan del Rey
mercredi 6 avril 2016
Petite et jusqu’à grande j’ai regardé les couples en me disant mais pourquoi cette distance mots de travers zéro tendresse dans des gestes parfois usés entre les deux. C’est mon côté Antigone j’ai toujours cru au grand amour même si je claironnais le mariage jamais de la vie, c’était avant mon immense love évidemment. J’ai été à 10 ans amoureuse d’un grand, qui sculptait ne disait presque pas beaucoup de mots se prenait pour le petit prince mais moi j’étais une vraie fille pas un renard et romantique en plus de ça. Il m’écrivait – je grandissais – des lettres très belles qui terminaient toujours pareil je t’embrasse tendrement. Tendrement c’était mamie il m’énervait avec ce mot. Des années ça a duré et un jour j’ai jeté la boîte avec les lettres et tous les tendrement. Les années ont continué et d’autres hommes pour de vrai m’ont embrassée, des histoires complicantes pour la plupart. Me persuadais d’énormités il faut le faire, triste et têtue comme j’étais.
Et puis ce jour de novembre deux semaines après j’aurais trente ans, voilà que rien, plus rien pareil dorénavant. J’utilisais lourdement j’insistais sur le mot le grand mot bouleversement à des amis compréhensifs qui m’écoutaient sans fatiguer raconter et répéter que de toute façon avec ce gars aucune question de séduction vous entendez (avec mon air un peu dédain pour la notion de séduction allez savoir). Plus fort que ça une intuition T’es mariée toi ? les grandes descentes des montagnes russes avec le train et les virages : de la rigolade. J’ai répondu n’importe quoi et toujours pas de séduction je vous assure. Sur des cartes postales il m’embrassait fort et je passais des heures comme à l’époque des tendrement à observer analyser les sens cachés de cet adverbe chat et souris moi qui voulais des choses simples. Ambiguïtés et rendez-vous dans l’amical et détaché, des mois durant une lenteur – à discourir finalement tomber d’accord sur l’impossible de notre histoire. Allez tant pis on convient que c’est dommage je ne pense qu’à lui mais c’est comme ça on se verra de temps en temps.
Non pas comme ça : très autrement finalement (allez comprendre les raisons du délestage) un jour tout rond de trente-trois ans dans une ville hors territoires balisés, carte de France dépliée avec nos doigts sur le papier les yeux plissés joyeux souriants comme jamais depuis l’éternité de nos naissances, perdu assez de temps comme ça, où est-ce qu’on va pour vivre ensemble.