Intérieur nuit, pour la vie
samedi 9 avril 2016, par
Au bord de la piscine, en cette fin d’après-midi, la petite fille en maillot de bain azur remplissait consciencieusement son arrosoir pour le déverser sur les cheveux de son grand-père. Oui papy, tes seveux ils vont repousser.
On était au milieu des années 80. Tapie reprenait des entreprises pour moins d’un euro et Montand venait nous faire l’apologie de la crise sur ces étranges lucarnes que Marie apercevait parfois quand elle revenait regarder la télé en cachette dans le salon de ses grands-parents.
Devenue adulte, c’est toujours en fin d’après-midi qu’elle s’occupait des plantes de son papy, comme une ONG du vivant, luttant autour d’elle contre un dessèchement climatique provoqué par les absences répétées de son grand-père autour du monde.
Sa mission terminée, elle descendait au salon de thé, commandait un thé vert et se livrait à un délicieux sacrilège en sucrant le thé. Dans une tasse translucide, elle provoquait inexorablement chaque five-o’clock une tempête tropicale du bout de sa cuillère. Les grains de sucre de canne tournoyaient dans un manège enchanté aboutissant à leur fusion dans ce thé chinois devenu Mousson des Caraïbes.
À la nuit tombée, elle partait dans les recoins de cette ville réinventée par l’arrivée de la pluie sous les lampadaires. Cette ville, elle aimait à la photographier, à l’enregistrer.
Au gré de ses déambulations, elle croisait SDF en quête, touristes en goguette, et étudiants exultants.
Un soir, au détour d’une porte cochère restée entrouverte, elle se faufila dans l’intimité de cette cour, rue Sainte Marguerite. Elle sortit alors son magnéto à micro canon et capta l’intérieur des cuisines, des salons.
Dans cet improbable salon, elle entendait mesurer, à califourchon.
Cinq... dix... vingt... trente...
trente-six
Cinq...
Dix...
Vingt...
Regarde un peu !
Trente-six...
Quarante-trois.
Qu’est-ce que tu mesures ?
Je regarde si ce lit que le Comte nous destine fera bon effet ici.
Le résultat était incertain, mais le potentiel s’avérait immense, et les possibles, infinis...
Merci à Mozart (Les noces de Figaro) et à Annie Ernaux (Les années)