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La Villa des comédiens
vendredi 21 décembre 2018, par
Que se passe-t-il au 90 bis avenue Sully Prud’homme me demanderez-vous ? Eh bien, un tas de choses, je vous répondrais. Un bâtiment neuf, blanc, propre. Un immeuble de haut standing récent, contenant une quarantaine d’appartements mais où pourtant les gens défilent.
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Je peux vous dire que j’en vois passer, moi, des habitants. Des couples, des célibataires, des familles, des amants. Je suis là, je les observe. Personne ne me voit. Je suis si discret que personne ne fait attention à moi.
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Au cours de mes observations, une réflexion me vient alors à l’esprit. Nous jouons tous un rôle. Nous cachons tous des secrets qui nous rongent. Nous ne les exposons pas. Nous portons un masque que nous enlevons le soir, en rentrant chez soi.
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Cette femme que j’aperçois à la fenêtre de sa salle de bain, que fait-elle ? Elle se malaxe les épaules avec une crème qui, étrangement, redonne à sa peau violacée les teintes claires qui parcellent le reste de son corps. Tiens ? Pourquoi fait-elle de même sur le contour de son œil ? C’est probablement parce que tous les soirs, fatiguée après une longue journée de travail, elle ne fait pas correctement ce que son mari exige d’elle. Les cris fusent. Les bruits sourds aussi. Quel est donc ce son qui monte au-dessus de sa délicate voix suppliante ? C’est la télévision du voisin qui aimerait regarder sa série sans tout ce ramdam pardi !
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Et ce monsieur, en costume, bon chic bon genre, travaillant dans un cabinet d’avocats ; qui fait son tri le soir en rentrant du travail (très poli le jeune homme d’ailleurs !), il semble avoir une vie parfaite. Un job de rêve, une petite amie magnifique (qui ne dort jamais chez lui par contre ?), un appartement bien situé, mais aujourd’hui, pourquoi se tient-il face au miroir de sa chambre, avec une perruque, du maquillage et des talons hauts ?
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Le soir, j’aperçois tout en haut de l’immeuble, dans les petites fenêtres, au dernier étage, une petite lumière multicolore. C’est une chambre me semble-t-il ? L’enfant qui y dort n’éteint donc jamais ? Il s’agit peut-être d’une veilleuse finalement ? Mais pourquoi a-t-il si peur de s’endormir cet enfant ? Serait-ce à cause de la poignée de sa porte qui grince tard le soir ? Le craquement du parquet qui le réveille ? Ou bien cette personne qui lui pose doucement la main sur la bouche avant de chuchoter un petit : « chuut » ?
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Dans la journée, il m’arrive de me poser calmement là, face au soleil, et de profiter de ce calme qui envahit l’espace. Mais il arrive parfois que ce calme soit de courte durée. Madame Gontran fait beaucoup de bruit lorsqu’elle entre dans la cour commune. Elle glousse ! Quelle bécasse celle-là ! Elle qui d’habitude est si froide, aimable comme une porte de prison et austère. C’est drôle mais je ne reconnais pas les pas de la personne qui l’accompagne ? Elle court dans les escaliers ? Je ne la reconnais pas ! Tant pis, je n’ai qu’à me poser devant la fenêtre de son appartement pour en découvrir la raison. Oh… La voilà qui déshabille un homme ! Mais ? Ce n’est pas monsieur Gontran ! En voilà une drôle de coquine celle-là ! Et je parie que ce soir, en descendant les poubelles, elle remettra son masque de cire et ne répondra même pas au « bonsoir » bienveillant de ses voisins.
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Aujourd’hui, c’est un balcon que j’observe. Un jeune homme. Une cigarette au bout de ses doigts, je vois une petite fumée sortir de sa bouche et de ses narines. Il a l’air pensif. Il est bel homme. Pourquoi un si bel homme regarde dans le vide de cette façon ? On ne peut pas avoir de souci lorsqu’on est beau, si ? Est-ce parce que la vue d’une jolie fille en robe ne lui fait plus le même effet ? Que le sourire de son meilleur ami lui donne du baume au cœur ? Ou bien est-ce parce que sa partie de jeu vidéo avec ce « singulier ami » a dérapé la veille ? Et dire que ses parents vont lui rendre visite ce soir… Comment va-t-il pouvoir faire semblant d’aller bien avec tout ce changement qui s’opère en lui ? Pauvre petit…
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Il est vraiment tard… Ou tôt, ça dépend du point de vue. Les lumières automatiques de l’entrée s’allument. C’est Margot, la fille des Dupont, au troisième étage. Pourquoi rentre-t-elle à une heure pareille ? Elle sanglote, son collant est filé et elle tient ses chaussures à talons d’une main. Du mascara coule sur son visage. Elle rentre chez elle, va dans la douche et fait couler l’eau chaude. Elle se recroqueville sur elle-même et se met à pleurer. Que lui est-il arrivé à cette fête où elle était supposée ne pas aller ? Comme si de rien n’était, elle partirait sûrement au lycée dans quelques heures, un sourire aux lèvres lorsqu’elle retrouverait ses copines, mais un sourire changé à jamais.
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Un nouveau jour se lève sur la villa de la Roseraie. Un camion blanc se trouve dans la rue, non loin de l’entrée principale. Un flux de passage se fait entre le véhicule et l’appartement 12B au deuxième étage. Ils vont et viennent en moi. Je me demande quand est-ce qu’ils auront terminé. Ce n’est pas tout mais ça fait des courants d’air de me laisser ouvert. Ils ont enfin fini de monter les cartons. Une jolie petite famille ! Un couple et leur fille ! J’espère qu’ils seront heureux entre les murs de mon corps. Je ne tarderais pas à faire plus amples connaissances avec eux. Nous cachons tous des secrets qui nous rongent. Nous ne les exposons pas. Nous portons un masque que nous enlevons le soir, en rentrant chez soi. Et chez eux, c’est chez moi.