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Sainte-Catherine
jeudi 25 octobre 2018, par
2008.
Des corolles violettes dans leurs bacs de jardinerie verts, petites vieilles désespérément accrochées aux barrières d’un trottoir, dans la crainte éternelle d’un coup de cartable d’écolier distrait qui les déséquilibrerait.
Un panneau bleu roi entre deux rues, marquant le croisement de sa droiture royale, fier de son rôle forcément crucial de guide dans ce quartier résidentiel ; conquérant qui attire pourtant à peine plus l’œil que ses homologues travailleurs, tous confondus dans une mer de bleu.
Des arbres chétifs et groupés, enfants se targuant de leur poussée de croissance à la récré, oubliant les bouleaux et les chênes qui croitront et réduiront toujours avant eux.
Un abri-bus misanthrope, qui geint à longueur de journée de ces habitants impolis, bruyants et ingrats, qui vont et viennent entre ses bras.
Quelques lampadaires, gendarmes haut placés dans la nuit.
Un vieux mur de briques un peu bancales qui s’accrochent comme elles peuvent, belles gardiennes du terrain vague de la rue Sainte-Catherine.
Il n’y aura bientôt plus rien de tout cela.
2018.
Une maison à trois étages a chassé un terrain vague et des corolles violettes, mais qu’importe, au fond ? Ce terrain vague et ces corolles violettes ont sûrement déjà mangé la maison aux tuiles grises là avant eux.
Il n’y a rien de nouveau, rue Sainte-Catherine. Pas plus que dans le reste de la France, pas plus que dans le reste du monde.
Je ne pleurerai pas les vieilles corolles violettes, les lampadaires solitaires, les abri-bus misanthropes, les panneaux fiers ou les briques solidaires.
Un jour, de toute façon, leur disparition sera vengée par celle de cette maison encore en travaux ; ses habitants n’ouvriront plus leurs fenêtres sur la route, ne grimperont plus leurs escaliers en fer rouillé, ne glisseront plus sur leur sol vinyle imitation parquet.
Cette maison redeviendra un terrain vague. Et de la même manière qu’il y aura eu des gens pour pleurer les coléoptères du terrain vague, il y aura des gens pour pleurer le sol vinyle imitation parquet de cette maison.
Je garderai plutôt mes larmes pour les êtres charmants qui auront malgré eux quitté la maison encore en travaux, et le terrain vague là avant elle, et la maison aux tuiles grises là avant lui.
Ceux qui ne pourront plus jamais frôler les vieilles corolles violettes des autres trottoirs de la rue Sainte-Catherine, s’abriter sous les autres abri-bus, glisser sur les autres sols vinyles imitation parquet.
Ceux qui ne seront plus là pour planter des graines et des lampadaires dans la nuit.
Ceux qui ne repousseront pas dans une autre rue ou une autre ville.
Parce que ça ne se replante pas comme un pissenlit, un lampadaire ou une maison, un être humain.
Moi, je garderai plutôt mes larmes pour les véritables martyrs de Sainte-Catherine.
Moi, je laisserai les autres humains reprendre inéluctablement leurs droits sur ce terrain si ça leur chante.
Et la nature, elle, reprendra un jour ses droits sur eux et sur moi.
Mais qu’importe, au fond ? J’aurai connu les corolles violettes de la rue Sainte-Catherine.