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Quelques mois à Evry

mardi 14 mai 2019, par Anne Savelli

Serpenter entre la gare, la cathédrale, l’allée Jacquard et la place de l’Agora. Passer le parking du Carrefour, longer les Champs-Élysées (ici, un boulevard), admirer la rousseur des arbres, compter les branches en fleurs. Se forger des points de repères dans ce que la marche offre de solitude, inscription dans le décor de ce qui ne dure pas (les travaux, les modes saisonnières, les rideaux de fer des boutiques baissés ou relevés selon des degrés qui varient) et ce qui se maintient dans cette ville nouvelle (la Maison du silence, les Pyramides, la Seine et tout ce qu’on ignore). Se créer une ville à soi, une cité miniature mais reliée à d’autres, qu’on connaît, a connues, qu’on invente, qu’on projette. Écouter les gens dans les trains.

Un jour, les surveillants à l’entrée du lycée se souviennent de vous. Très vite, vous dessinez des lignes invisibles entre le hall, l’auditorium, la salle des profs, le CDI, petite toile mentale dont le centre serait, par circonvolutions, un bureau où écrire, les micros de la webradio, les rayons des bibliothèques. Tablettes, claviers, romans et dictionnaires. Vitres, pelouse, ciel. Pendule, sonnerie musicale qui rythme les entrées, sorties, organise le ballet semaine après semaine. Déplacements de ceux qui écoutent, écrivent, lisent, relisent, tapent leur texte durant les heures d’atelier. Déplacements de leurs phrases, de la ponctuation, parenthèses qui permettent aux villes passagères de s’imaginer un avenir, de dire la douceur comme la dureté du cadre : dans l’acte d’écrire il y a un monde en soi, oui, qui avance, s’ébauche, dont personne ne peut dire où il le conduira. Il y a le désir de guider et le plaisir de perdre, de se perdre, de se laisser surprendre par ce que les mots veulent de nous. Vous croyiez en avoir fini avec ce qu’il y avait à écrire ? C’est maintenant que tout commence, au contraire.

C’est pourquoi, grand merci aux élèves d’avoir joué le jeu, d’avoir osé lire leurs textes et écouté ceux des autres. Merci à eux de m’avoir fait partager leurs points de vue, leurs expériences et d’avoir accepté l’échange. Merci également, bien sûr, aux enseignants, à toute l’équipe du lycée du Parc des Loges ainsi qu’à la DRAC, à la région Ile-de-France et aux artistes invités (Magali Albespy et Joachim Séné). Tous m’ont aidée à mener à bien cette résidence durant l’année scolaire.

Et je ne résiste pas au plaisir de dire qu’ensemble, ou séparément, nous nous sommes rendus à Paris en suivant neuf parcours distincts ; avons assisté à une conférence à l’Ircam sur le bruit de la ville, visité le musée des Arts et métiers. Nous avons longé la Seine, passé des ponts, sommes entrés dans les catacombes, avons arpenté le musée Nissim de Camondo, celui d’Orsay et le parc de Monsoury. Nous avons crié dans une salle anéchoïque, nous sommes pris pour Cléo de cinq à sept, avons demandé rue Daguerre où donc était Agnès Varda. Nous avons bu un verre chez Tina, interviewé le boucher, fait des selfies avec Squeezie et visité les rues d’Évry. Nous avons vu un documentaire montrant la naissance de la ville ; le site web du Désordre de Philippe de Jonckheere où la vie quotidienne apparaît autrement ; la tombe de Marguerite Duras au cimetière Montparnasse, ses fleurs et ses crayons. Nous avons osé danser devant une danseuse dans une salle de sport. Avons chuchoté des mots, coupé des phrases, joué d’un instrument de musique sans savoir comment il s’appelait. Nous avons déplacé des chaises, entré des codes, trouvé des titres, pensé la ville et le village. Et peut-être avons-nous rêvé.

texte paru dans le recueil Les villes passagères destiné aux élèves du lycée, leurs familles et leurs professeurs.

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