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La ville et les artistes

lundi 9 décembre 2019, par Anne Savelli

Trouvé à la librairie Le Genre urbain, librairie qui possède un fonds important d’ouvrages liés à la ville, Qu’est-ce que la ville créative ? d’Elsa Vivant tente de définir une expression qu’on entend partout sans nécessairement savoir ce qu’elle recouvre. Une ville créative, est-ce une ville culturelle ? Connectée ? En friche ? Muséale ? Gentrifiée ? Faite pour les artistes ? Investie par les créatifs et si oui lesquels ? Précisons tout de suite que le livre, dont l’objet d’étude principal est Paris, a déjà dix ans, ce qu’on repère dès les premières pages, inutile sans doute d’expliquer pourquoi (lister les clôtures, fermetures, barrières, uniformes visibles, caméras de contrôle, foules nassées me fatigue déjà).

Ce qu’explique entre autres le livre, c’est l’évolution des villes post-industrielles en perte d’attractivité qui, une fois un quartier pacifié et rendu désirable par des artistes exclus du système officiel, attirés par l’espace et les prix bas, instrumentalisent leurs apports pour attirer une population nouvelle, plus aisée. Cette dernière est dite également créative (éduquée, cultivée, capable d’adaptation, ouverte d’esprit) mais ce n’est pas la même. Elle finit par chasser les artistes et les travailleurs précaires qui les ont suivis et n’ont plus les moyens de rester. C’est ainsi que la ville créative perd de sa créativité, tandis que sa culture off d’origine demeure son capital symbolique.

(penser ne serait-ce qu’à toutes ces résidences Les poètes dans lesquelles aucun poète, jamais, ne pourra habiter)

À la fin de l’ouvrage, Elsa Vivant se demande ce que recouvre réellement cette créativité artistique mais elle y consacre peu de lignes, ce qui est frustrant. Ce qu’elle dit, surtout, c’est que la créativité n’existe pas sans sérendipité ("rôle du hasard dans les découvertes") :

"La créativité se nourrit de cette sérendipité. Au gré d’associations inédites et de rencontres fortuites, les créateurs font émerger de nouvelles idées, proposent de nouvelles formes et manières de faire. Un cadre formaté et planifié n’autorise pas cet espace de l’impromptu. Plutôt que de concevoir une ville créative, le défi de l’urbaniste est de créer les conditions de la sérendipité et de la créativité en laissant de l’espace à cet inconnu, en acceptant qu’apparaissent en ville des pratiques non planifiées, voire non autorisées, en rendant possibles les rencontres imprévues ou improbables."

Question sans nulle doute économique, me dis-je (si on ne peut pas "vivre là", on ne risque pas d’y croiser qui que ce soit ni de transformer quoi que ce soit) et de liberté accordée, de perte de contrôle, de pouvoir. Qui pour prendre ce risque ? (municipalités, promoteurs, État...) En attendant de le savoir, je pense aux artistes invisibles, les écrivains, qui participent à la valorisation de leur quartier en écrivant à son sujet. Par quels interstices, dans quelles brèches nous faufilons-nous ? Par quelles contorsions devons-nous passer pour être présents en ville ? Pour nous, nulle friche, pas de loft à valoriser. Le seul lieu possible serait-il celui de la librairie ? C’est trop peu, décidément trop peu, me dis-je en fermant le livre, pourtant trouvé au Genre urbain après avoir dérivé, être partie au hasard.

Penser, encore et toujours, nos espaces en ville, oui, sans ces résidences Les Poètes qui de toute façon ne veulent pas de nous.

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