Mai 68, le chaos peut être un chantier

On a souvent dit que mai 1968 a été une prise de parole, "les murs ont la parole", etc., c’est vrai.
"On a pris la parole comme on a pris la Bastille" (Michel de Certeau)

"Les murs ont la parole", ce sont tous les graffitis :
plutôt la vie
cache-toi objet
la beauté est dans la rue
le respect se perd, n’allez pas le rechercher
consommez moins, vous vivrez mieux

Et tous ces graffitis, ça veut dire quoi ?
quelle parole a été libérée en 68 ?

qu’est-ce que c’est parler ?
parler vraiment
parler à quelqu’un
un dialogue, c’est quoi

Pour aborder ces questions, je commencerai par parler du silence.

Il y a différente sortes de silences, je veux parler du silence dans la société, et du silence dans la société gaulliste, du silence qui a précédé la prise de parole en 68
un silence mauvais, glacial, glaçant
étouffant, mortel.

C’était le silence sur la torture pendant la guerre en Algérie
avec des livres interdits, qui circulaient sous le manteau, comme La Question d’Henri Alleg et Le Déserteur de Maurienne (Jean-Louis Hurst).
C’était le silence sur les travailleurs immigrés dans les bidonvilles, Nanterre, banlieue sud.

Dans les deux cas : découverte pour l’adolescente que j’étais, choc et révolte.

"Il ne faut pas parler de ça" (la torture) avait dit la mère d’une amie dont le fils était sous les drapeaux, et j’avais entendu : il faut arrêter la pensée, s’arrêter de penser.

Ce silence était lié au colonialisme
et renvoyait au silence sur la France pendant l’Occupation.
C’était le mythe gaulliste de "tout le monde résistant".
Voir Hiroshima mon amour
et la photo de Capa, la femme tondue qui se fraye difficilement un chemin dans la rue entourée de gens hilares.

C’était un silence sur la misère.

C’était aussi le silence sur l’avenir de la jeunesse, quel avenir autre que travailler dans "l’industrie" ou dans la pub, se rappeler les combats de l’UNEF.

Leslie Kaplan. POL, 2018


La cité est politique, la politique c’est la ville. La vie de la ville, les murs de la ville, les voix de la ville. Et aujourd’hui, en quoi elle est politique la ville ? Vit-on une époque de silence, ou de bruit ? Qu’est-ce qui, dans la ville, reflète ce qui, de la politique, ne se dit pas ? Où sont les silences de 2024 ?

Et pour la jeunesse, c’est quoi l’avenir, en 2024 ?