Les villes sanctuaires, 1
Comme les habitants de Fama, ancien centre industriel et commercial, sont souriants et chaleureux, on peut s’étonner de leur taciturnité. C’est que, en ayant eu assez des effets néfastes des bruits industriels et commerciaux, des vrombissements ferroviaires et des chœurs de klaxons automobiles, de la clameur des chantiers et du piaillement des publicités, leurs aïeuls ont décidé de chasser la pollution sonore en aménageant dans la ville des aires où le bruit excessif serait interdit. Il s’agissait dans un premier temps d’y imposer des plafonds décibeliens, ce qui obligeait à dévier les artères routières avoisinantes et à restreindre les concerts en plein air et les manifestations partisanes. Ensuite les conversations téléphoniques ont été fortement découragées, puis les conversations tout court, puis les rituels collectifs, les sports d’équipe, les tondeuses, les bébés coliqueux et les chiens sans muselière. Chaque fois que les Famiens se sont habitués au volume ambiant de base, ils ont découvert de nouvelles nuisances : une fois la voiture à combustion exilée, c’est la voiture électrique qui finit par devenir insupportable ; après la voiture électrique, la trottinette électrique, la valise à roulettes et la toupie nucléaire. Avec chaque resserrement, de nouveaux lieux publics ont été déclarés zones d’abri du bruit urbain, au point que l’écrasante majorité des espaces non résidentiels de Fama sont aujourd’hui silencieux.
Cela a tout ralenti. En diminuant la largeur des routes et des trottoirs, en déplaçant les transports en commun, en revêtant les
Les Villes indivisibles, Oulipo, Editions Nous, 2024.