La Maison du Chat-qui-pelote

Au milieu de la rue Saint-Denis, presque au coin de la rue du Petit-Lion, existait naguère une de ces maisons précieuses qui donnent aux historiens la facilité de reconstruire par analogie l’ancien Paris. Les murs menaçants de cette bicoque semblaient avoir été bariolés d’hiéroglyphes. Quel autre nom le flâneur pouvait-il donner au X et aux V que traçaient sur la façade les pièces de bois transversales ou diagonales dessinées dans le badigeon par de petites lézardes parallèles ? Évidemment, au passage de toutes les voitures, chacune de ces solives s’agitait dans sa mortaise. Ce vénérable édifice était surmonté d’un toit triangulaire dont aucun modèle ne se verra bientôt plus à Paris. Cette couverture, tordue par les intempéries du climat parisien, s’avançait de trois pieds sur la rue, autant pour garantir des eaux pluviales le seuil de la porte, que pour abriter le mur d’un grenier et sa lucarne sans appui. Ce dernier étage était construit en planches clouées l’une sur l’autre comme des ardoises, afin sans doute de ne pas charger cette frêle maison.

Par une matinée pluvieuse, au mois de mars, un jeune homme, soigneusement enveloppé dans son manteau, se tenait sous l’auvent de la boutique qui se trouvait en face de ce vieux logis, et paraissait l’examiner avec un enthousiasme d’archéologue.

Honoré de Balzac.


C’est ce que nous faisons toutes et tous, de regarder ce qui va bientôt ne plus exister. Il ne s’agit pas d’être conservateur, voire réactionnaire, mais il est difficile de ne pas voir, au milieu d’immeubles aux arêtes tranchantes, la maison de briques au toit soutenu par des poutres de bois, la maison recouverte de lierre, la vie qui a vécu là une vie de maison de brique et de bois, difficile de ne pas se dire : elle va disparaître. Et ressentir alors cette nostalgie, qui se fonde sur une idéalisation sans fondement, sur l’idée non pas de la maison que l’on voit, mais d’une maison, d’une époque, qui n’existe, peut-être, que pour nous. Comme ici, à travers le regard du jeune homme, Balzac nous dit son regret de voir disparaître un Paris dont certains aspects, au moment qu’il décrit, sont des "débris de la bourgeoisie du seizième siècle".