L’inhabitable

L’inhabitable : la mer dépotoir, les côté hérissées de fil de fer barbelé, la terre pelée, la terre charnier, les monceaux de carcasses, les fleuves bourbiers, les villes nauséabondes

L’inhabitable : l’architecture du mépris et de la frime, la gloriole médiocre des tours et des buildings, les milliers de cagibis entassés les uns au-dessus des autres, l’esbroufe chiche des sièges sociaux

L’inhabitable : l’étriqué, l’irrespirable, le petit, le mesquin, le rétréci, le calculé au plus juste

L’inhabitable : le parqué, l’interdit, l’encagé, le verrouillé, les murs hérissés de tessons e bouteilles, les judas, les blindages

L’inhabitable : les bidonvilles, les villes bidon

L’hostile, le gris, l’anonyme, le laid, les couloirs du métro, les bains-douches, les hangars, les parkings, les centres de tri, les guichets, les chambres d’hôtel

Les fabriques, les casernes, les prisons, les asiles, les hospices, les lycées, les cours d’assise, les cours d’école

L’espace parcimonieux de la propriété privée, les greniers aménagés, les superbes garçonnières, les coquets studios dans leur nid de verdure, les élégants pied-à-terre, les triples réceptions, les vastes séjours en plein ciel, vue imprenable, double exposition, arbres, poutres, caractère, luxueusement aménagé par le décorateur, balcon, téléphone, soleil, dégagements, vraie cheminée, loggia, évier à deux bacs (inox), calme, jardinet privatif, affaire exceptionnelle

Georges Perec. Espèces d’espace, Galilée, 1974.


L’architecture et l’urbanisme ont des règles, des contraintes, il y a les communes, qui sont clientes, il y a les modes, il y a les classes sociales, il y a les constructions faites par plusieurs sociétés qui ne se parlent pas, qui économisent sur les matières premières, il y a les garanties décennales et les problèmes d’étanchéité, il y a l’entretien et l’abandon ; il n’y pas que les projets, les rêves, les slogans commerciaux. Il y a d’infinies possibilités de dresser des listes, dès qu’on regarde, et qu’on pense la ville, et l’on peut les construire par les sens, ou par les sons, par ressemblances ou oppositions, il y a l’inhabitable qui est parfois, trop souvent, habité.