Désapprentissage
Pour donc mieux son œuvre commencer, supplia un savant médecin de celui temps, nommé maître Théodore, à ce qu’il considérât si possible était remettre Gargantua en meilleure voie. Lequel le purgea canoniquement avec ellébore d’Anticyre, et, par ce médicament, lui nettoya toute l’altération et perverse habitude du cerveau. Par ce moyen aussi, Ponocrates lui fit oublier tout ce qu’il avait appris sous ses antiques précepteurs, comme faisait Thimoté à ses disciples, qui avaient été instruits sous autres musiciens.
Pour mieux ce faire, l’indroduisait ès compagnies des gens savants que là étaient, à l’émulation desquels lui crut l’esprit et le désir d’étudier autrement et se faire valoir.
Après, en tel train d’étude le mit qu’il ne perdait heure quelconque du jour : ains [1] tout son temps consommait en lettres et honnête savoir. S’éveillait donc Gargantua environ quatre heures du matin. Cependant qu’on le frottait [2], lui était lue quelque pagine de la divine Écriture, hautement et clairement, avec prononciation compétente à la matière, et à ce était commis un jeune page, natif de Basché, nommé Anagnostes. Selon le propos et argument de cette leçon, souventes fois s’adonnait à révérer, adorer, prier et supplier le bon Dieu, duquel la lecture montrait la majesté et jugements merveilleux.
Puis allait ès lieux secrets faire excrétion des digestions naturelles. Là son précepteur répétait ce qu’avait été lu, lui exposant les points plus obscurs et difficiles. Eux retournants, considéraient l’état du ciel, si tel était comme l’avaient noté au soir précédent, et quels signes entrait le soleil, aussi la lune, pour icelle journée.
Ce fait, était habillé, peigné, testonné [3], accoutré et parfumé, durant lequel temps on lui répétait les leçons du jour d’avant. Lui-même les disait par cœur et y fondait quelques cas pratiques et concernants l’état humain, lesquels ils étendaient aucunes fois jusque deux ou trois heures, mais ordinairement cessaient lorsqu’il était du tout habillé. Puis par trois bonnes heures lui était faite lecture.
François Rabelais. Transcription de Clouzot, 1913, Wikisource.
La norme par laquelle Gargantua a été éduqué, par "les sophistes", est considérée comme un lavage de cerveau, qui se soigne en nettoyant littéralement le personnage, comme si la pensée conservatrice, normée, était une maladie on s’occupe du corps de Gargantua, toute la métaphore du passage nous emmène vers cette idée, comme un salon de beauté pour l’âme et l’esprit, l’ancienne éducation est à mettre à la chasse (d’eau), au sens premier.