Court traité du paysage
Louis, comment dis-tu : il est beau ce paysage ? Il me regarde et je comprends que je lui pose un problème difficile. Après un long silence encore, il déclare enfin : « Es brave lo païs », on dit ». Je viens de comprendre : le mot paysage n’existe pas en occitan (il n’apparaît d’ailleurs dans la langue française qu’à la fin du XVIe siècle).
L’incompréhension de départ n’était pas seulement due à l’habituelle difficulté de langage, mais à l’incompréhension du concept même de paysage. Le paysage, pour lui, pour les gens, c’est le pays.
Es brave lo païs : réponse étonnante et, dans sa cohérence, très significative, puisque, par deux fois, en quatre mots – brave au lieu de beau et païs au lieu de paysage – elle élimine le point de vue esthétique. Le paysan de Cueco n’est nullement exceptionnel. Michel Conan signalait naguère, dans un colloque à Lyon, que, selon une enquête effectuée dans le Finistère, la notion même de paysage semble échapper aux paysans, qui, plus proches que quiconque du pays, seraient d’autant plus éloignés du paysage. (...). Cueco le dit fort bien : « Le paysage n’existe pas, il nous faut l’inventer ».
Alain Roger, Court traité du paysage, 1997