Baleine paysage

Baleine paysage, 35

boule de soleil jaune sur dessin noir des lignes arbres à l’horizon / bruit sec de quelques feuilles desséchées lierre mort sur tilleul dans petit vent 1° février 2012 / terre tourne le temps de l’écrire / soleil illusion de son déplacement / voici lumière chaude dans la pièce jusque sur une joue / chat roux tousse / le temps de l’écrire dégèle l’eau du bassin / souvenance des poissons rouge libellules et nymphéas vanillés / l’hiver fomente leur retour / quelqu’un murmure avec le gel les violettes seront belles / une traînée de bleu perruche dans le ciel / pas de cuicui de mésanges / baleine échouée près d’un vase

Baleine paysage, 36

trottoirs vides / froid et soleil dans les rues et sur les boutiques / bleu au ciel / une voiture tourne dans une petite ruelle / rue de paris / rue archangé / place de la république / rond-point à palmiers / quelqu’un cherche pour quel objectif palmiers en essonne vallée de chevreuse / quelqu’un parle de sensibilité dentinaire et de sagesse 2 février 2012 / quelqu’un parle de travaux / passage du chemin de fer excavation en cours / absence de chat roux pas citadin du tout / baleine échouée en questionnement sur la sensibilité fanonninaire /

Baleine paysage, 37

pies et corneilles on n’entend qu’elles 4 février 2012 / on voit le soleil sur le grand cèdre au-delà de la rue et sur le toit de tuiles d’oranges / on entend le bruit des feuilles d’un journal quelqu’un lit papier / on voit quelqu’un tapoter coussinets sur rectangle lumière format paysage / on entend des voitures passer sur fond de cris des pies / certains se demandent si « les langues poétiques et philosophiques font un tout » / certains ne se posent pas cette question / on ne voit pas chat roux / on voit le temps qu’il fait sur couverture livre papier Monique Tello obstinément peindre Antoine Emaz / quelqu’un verse du thé / on entend la petite respiration métallique des tuyaux du chauffage / on voit sur une table des pots de colle des ciseaux un cutter des pinceaux des feuilles papier des boîtes du calque une petite corbeille en osier / on dit il fait froid / on entend les pages tourner / craquement dans le bois du buffet d’une autre âme domestique peut-être mangeuse de confitures / baleine échouée aux bordures des nacres

Baleine paysage, 47

bientôt le jardin de l’aube / bientôt la dernière aube pour lui dans l’autrefois rabattu au présent de l’ici par poudroiement souvenir / 14 février 2012 / un avion gronde qu’il est trop tôt qu’il est tout seul qu’il nous attende 14 février / un oiseau chante dernières minutes deux il était 7h30 ce 14 février-là / absence de chat roux le sien était gris gouttière l’avait nommé kinzou / un autre avion dans le ciel qui bleuise / qui a mis ses yeux dans le bleu des siens 14 février / on entend un tout petit sanglot dans le manteau de la cheminée / une mésange tente un rappel de pioupiou puis une autre mais rien 14 février / trop tard trop froid / mais la route obstinée de l’aube au jardin / personne encore dans l’escalier / un petit vent par la fenêtre en refus de calfeutrage / la vie infuse imperturbable / rouge-gorge à l’approche dans une gaieté sonore / une baleine échouée dans l’éternité mimosa

Baleine paysage, 165

7:30 pas d’éblouissement / ciel bouché blanc tobie / quelqu’un dit j’ai fait un potager plein d’agrumes qui sentait héraclite / quelqu’un dit il y a des fourmis dans les carpes 14 juin 2012 / mais de quoi s’agitent ces phrases quelqu’un demande / quelqu’un dit elles volètent avec mésanges zinzinule pinsons fringote pies craquille avions vroum et roucoule tourterelles / elles disent des histoires encore / elles s’amusent à mots / elles crient non n’entrez pas et ça entre malgré / ah voilà épaule éblouissante / parfum de seringa / quelqu’un dit mais qu’est-ce qui entre / quelqu’un dit ce sont les mésanges par fenêtre ouverte / quelqu’un d’autre dit c’est le réel / les phrases crient non mais le réel s’en fiche / quelqu’un dit i prefer remettre en jeu le réél / on entend une machine à découper / avion vroum son réel au ciel soleil / tilleul étale en vertes feuilles calmes / absence de chat roux / sittelle torchepot au balcon / entrée de bourdonne en butine obstinée bretelle petit sac coton jaune / bourdonne prise en piège couleur pollen / baleine échouée jusqu’à quand /

Maryse Hache. Publie.net, 2012


Un animal-paysage, totem pour soi, point de vue sur la ville, par la fenêtre, le bureau vue sur jardin, c’est aussi le quotidien de la ville, ce point de vue immuable, les onomatopées des bêtes et des machines, les voix humaines à travers la fenêtre de l’écran et la connexion, et on est là, à la table, à regarder, écouter le monde proche et le monde lointain, et vite, à manger les mots, à pas avoir le temps de chercher le mot juste et devoir l’inventer parce que la vie est courte, le moindre bruit, au jour le jour, et la baleine échouée de la narratrice-point-de-vue qui passe les jours, les jours jusqu’au dernier.