A travers Champs - Axe de la Terre
Pour bien commencer, investir l’espace, danser dans une pièce close, seule en diagonale, sans miroir, sans piste et les yeux fermés. Danser dans ses yeux, esquisser un pas sous les deux paupières, poignets et chevilles entièrement libres, du moins en pensée, le corps à l’arrêt en haut du pylône : danser ce serait pour Dita Kepler se nouer aux branches, zinc, planches, s’étirer léger jusqu’à l’avion de ligne. Enjamber le ciel, l’Axe de la Terre. Filer vers le sud.
Par la porte ouverte un balancement indique sa danse, un seul, très petit. Elle chorégraphie le soleil couchant, la vie dans une boîte, le côté sardines de nos solitudes dans ces RER qui relient nos villes. D’avant en arrière, pointe talon pointe pointe elle épuise le mouvement de l’attente, le risque de chute, de bifurcation quand le train s’éclipse, pris dans le brouillard des signalétiques. Elle danse et voici, entre rails et champs, un port de pêche. Voici un pont, une passerelle, une dune, une colline. Des vagues, des vagues. Des trous, des vagues. Des vagues de trous et de palissades.
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Le squelette de la Terre est sorti par erreur à proximité de chez Daniel Kage, et dirige vers la fenêtre de sa cuisine un pointu accusateur, ou désirant. La conjonction des étoiles, de la Lune, du Soleil, à toute heure du jour et de la nuit, le hasard de placement qui n’est pas hasard mais correspond à la vérité des mathématiques et des lois de la physique partout et à tout moment dans l’ensemble de l’Univers, tout cela et la direction particulière prise par la pointe hors du sol de lave séchée provoquent dans la cuisine de Daniel Kage un petit point lumineux obstiné sur la porte du placard à bols.
« Ce n’est pas un hasard », dit le cuisiniste, Daour Kora, venu ce soir-là observer l’effet du phénomène sur la robustesse des portes qu’il a installées. « C’est mathématique », dit-il.
Anne Savelli & Joachim Séné A travers Champs, L’aiR Nu, 2019.