Tolérer le temps
Longtemps, on a été tolérant. Les philosophes tergiversent autant qu’ils le peuvent, mais nous n’arrivons toujours pas à nous faire à la linéarité, cruellement régulière, du temps. Quinze ans pour aménager et construire ce nouveau quartier, dites-vous ? Insupportable. Et avec le droit du travail, l’inflation, les salaires, et tous ces autres arcanes socio-économiques occultes, construire plus vite n’est vraiment pas possible (sans sacrifier une précieuse rentabilité, bien sûr). Il y a pourtant une solution plus simple : tordre le fil du temps, et joindre directement 2024 à 2039 ! Ou encore, faire un trou dans la raquette spatio-temporelle et tomber directement à l’instant où les travaux seront achevés et les bâtiments livrés ! Charlemagne objecte, dites-vous ? Parce que César veut refonder l’empire pour durer jusqu’au XXIe siècle ? Tamerlan souhaite reprendre ses décimations de villes entières pour rivaliser avec les massacres des temps contemporains ? Non, pas contemporains, mais futurs, vous dites ? Très bien, rappelez le bureau et dites-leur de redresser le fil et de refermer les trous. Si nous commençons à prendre des raccourcis pour atteindre nos objectifs sans observer ni ressentir leur causalité, je doute que cela se passe aussi bien — et surtout aussi profitablement — que nous l’avions espéré. Comme quoi, certains problèmes, s’ils en sont vraiment, feraient mieux de rester non résolus.
Adnane Fathi