T’sara

Au tout début du siècle précédent, la position exacte de la ville de T’sara fut source de débats houleux au sein de la Ligue Marchande de la baie d’Essilath, et a été même l’une des raison principales qui embrasèrent la première crise politique sérieuse de la Ligue, que certains qualifient même de guerre civile, appellation que je trouve un poil exagérée, mais là n’est pas le sujet de l’histoire d’aujourd’hui.

Ce qu’il faut retenir à propos de T’sara, c’est que c’est une ville en mouvement. Ce détail, assez signifiant, n’était pas connu par la Ligue, qui n’était pas assez familière avec le continent à l’époque, et refusait d’engager les services des guides et caravanes locales qui connaissaient intiment l’itinéraire des vagabondages saisonniers de la ville au mille toiles.

Cette appellation, affective et informelle, berne encore aujourd’hui l’imagination fertile des citoyens et notables des cités-états de la baie d’Essilath, et pensent que la ville voyage à l’aide de toiles, tels un navire immense voguant sur les hautes herbes des immenses plaines fertiles où se promène la ville.

La réalité des choses et nettement moins fantastique, certes des villes flottantes existent dans le littoral équatorial du continent occidental, mais le mouvement de T’sara et ses toiles fait référence à une tradition très fait différente, plus banale, mais tout aussi poétique et inspirante, à mon humble avis. T’sara est une ville de tentes ! Des milliers et des milliers de tentes, grandes, petites, à étages, en toile ou en cuir, en osier ou en métal. Chaque fin de saison, le parlement de T’sara annonce la levée, les tentes sont désassemblées, et la grande marche commence.

De tell en tell, collines formées par les ruines des antiques citées de la plaine, les T’sariens sont libres de s’installer où ils veulent une fois le site déterminé. Aucune hiérarchie ne détermine qui à droit à tel ou tel emplacement, à l’exception des tentes des soigneurs et médecins, pour des raisons d’hygiène. Cette notion d’absence de droit au sol et d’hiérarchie peut être paraître aberrante pour nos esprit d’habitants de maisons en pierre, mais elle est au cœur de l’existence même de cette nation.

Il y a cinq siècles, les ancêtres des T’sariens, après une catastrophe sociale qui vit la ruine des républiques des plaines, renoncèrent au droit au sol. Le sol, désormais sacré, est maître de soi même, et son écartèlement, à terme, mène à la ruine civilisationnelle. Ainsi soumise au yeux des esprits des plaines, T’sara est en éternel pèlerinage, occupant temporairement les tombeaux des anciennes villes en pierre, servant de mémoire et de rappel aux dangers de l’abus de la terre.


Adnane Fathi