Récurrence urbaine
« La ville a toujours été, et sera toujours », nous répond le maire. En effet, il a raison : elle était là depuis les temps qu’Istanbul était Byzance. Et les temps changent, ainsi changent les villes, mais elle restera notre ville : avec ses maisons trapues et mitoyennes, foyers de nos familles, non pas que nos pères et mères, mais aussi grand-mères et oncles, entassés autour d’une cour, chaque porte ouverte à nos amis et voisins, les visages de nos demeures s’embrassant presque alors qu’elles se penchent sur les ruelles qui coulent vers le souk, l’artère de notre ville, où achats et artisanat, services et conseil se fondent pour animer nos vies.
« La ville est pittoresque, mais pas assez adéquate pour les nouveaux temps », nous adjuge le maire. Apparemment, les temps demandent de haut immeubles, hôtes de centaines d’unités, pas aussi larges qu’avant certes, mais en nombre suffisant pour répartir, équitablement, nos familles trop nombreuses pour ces nouveaux temps.
« La ville s’étend et grandit, et les temps le requièrent », leur promet le maire. Nos vieux quartiers, symbole d’un temps révolu, avec leurs senteurs de miel et de cannelle, ne peuvent plus être, au grand plaisir des propriétaires souriants, ayant dépossédé nos pères et mères, grand-mères et oncles, aujourd’hui au loin, tâche floue dans la mémoire de notre ville, s’estompant dans un coin, alors que pousse en hauteur le moderne dans la poussière de nos rêves.
Notre ville oublie puis se souvient, se renouvelle et se perd, est-elle jamais celle qu’elle fut hier, ou sera demain ? Le maire n’est plus, et la ville a toujours été et sera toujours, nous justifiera le nouveau maire.
Adnane Fathi