Deux vieux punks
Cyril était grand, très grand. Il l’avait toujours été, petite, il était presque irréaliste à mes yeux, sorte de créature fantastique à l’échelle inhumaine. Il faisait tache dans ce décor républicain aux dorures exagéré, face au maire bien trop droit, bien trop chic et bien trop dégarni. Cyril ressemblait à David Bowie, il était grand, maigre, il avait le même mulet et les mêmes dents abîmées par un passé punk. Il avait aussi ce côté rêveur, étrange et irréaliste : il parlait trop, sur tout et sur rien, avait toujours des histoires rocambolesques et un style extravagant. Bref, Cyril était le fruit de son époque, un vieux punk, canette de 86 toujours en main, qui était aujourd’hui dans une mairie.
Cyril se mariait à Rapha, même personnage énigmatique, mais beaucoup plus petite et cent fois plus bruyante. Je les ai toujours vus ensemble, c’était Rapha et Cyril. Cette sorte de couple de vieux punk, bien trop bruyant pour cette mairie, déjà bourrés avant la cérémonie, déjà inséparable avant même d’être lié par leurs anneaux. Ils étaient beaux ensemble, ils devaient sûrement briser pas mal de cœurs à leur époque, mais ils étaient encore plus beaux aujourd’hui. Ils rayonnaient même, bien qu’ils tanguaient un peu à gauche. Ce rayonnement, je pense qu’il n’a jamais été aussi fort qu’au sein de cette salle de mariage, qu’au sein de cette mairie à la décoration kitche, peinte de scènes d’un peuple vainqueur, révolutionnaire, d’une Marianne guideuse et fière. Ils étaient beaux parce qu’ils étaient ce peuple qui n’a jamais lâché ses idéaux, qui se bat d’ailleurs encore aujourd’hui et qui pourtant tranchaient fondamentalement avec cette sorte de République fantasmée.
Je n’ai jamais vraiment fait attention à la mairie du 20e, mais pourtant aujourd’hui, je l’aime bien. Malgré les queues interminables d’accès aux services administratifs, malgré la froideur de cet établissement, je sais qu’une foule entière a fêté le mariage de deux vieux punks une canette de 86 à la main.
Mina