Juliette Mezenc. Elles en chambre.
mardi 15 décembre 2020
ouverture des hypothèses
la peur de s’y mettre, le besoin pour s’y mettre de se fabriquer un cocon à la façon d’un animal qui tourne sur lui-même avant de se coucher, à la façon d’un Barthes qui tourne dans son bureau avant de se mettre au travail. Elle le dit elle-même : c’est rassurant, un bistrot… Elle y est comme molletonnée dans le bruissement des conversations, et c’est justement ce bruit extérieur apaisant qui permet le mouvement au-dedans d’elle, celui de cette boule souple qui se met à tourner et fait se déployer le bouclier. Sans ces conversations, pas de mouvement, pas d’échauffement au-dedans. Sans ces conversations, pas de bouclier qui protège des conversations. Sans ces conversations, pas d’isolement. Sans isolement, pas de chambre d’écriture, pas de voix qui montent et s’écrivent
et peut-être aussi la nécessité pour elle de ce bain, de cette immersion puisque : mes véritables personnages, mes seuls personnages, ce sont les mots
mots par nappes qui l’enveloppent d’autant mieux qu’ils ne la concernent pas et qu’elle ne peut les comprendre, puisqu’il s’agit de l’arabe, une langue qui lui est étrangère, elle s’y sent comme en voyage, elle, née en Russie, parlant russe, français, anglais, allemand, la voici qui invente une sorte de langue étrangère
et puis il y a cette bistrotière qui l’a sauvée, malgré elle, paraît que vous seriez juive, voilà ce qu’il est allé raconter cet abruti, moi je sais bien que c’est pas vrai, hein, ces mots ou d’autres approchants qui l’ont avertie, fait fuir, échapper belle à
pfffffffff
mais en vérité, de ce qui se passe au moment où elle écrit, nous ne savons rien, ou si peu, il est permis de douter et ne jamais oublier : ceci n’est qu’une reconstitution
fermeture des hypothèses
Juliette Mezenc. Elles en chambre, 2014.