Agnès Varda. Film argentique et numérique.
lundi 5 octobre 2020, par
Pour moi la nostalgie du cinéma en 35mm s’est transformée en désir de recyclage...
Je bâtis des cabanes avec les copies abandonnées de mes films. Abandonnées parce qu’inutilisables en projection.
Devenues des cabanes, maisons favorites du monde imaginaire.
À l’époque, les copies de films arrivaient dans les cabines de projection sous forme de 5 à 8 boîtes de métal, rondes comme des galettes de 4 centimètres d’épaisseur. Dans chaque boîte, une bobine en métal sur laquelle était enroulé un grand ruban
de 5 à 600 mètres de pellicule : c’était le film en images avec sur le côté le dessin optique du son. Le projecteur de la cabine avait deux lampes, l’une transmettait l’image, l’autre le son.
De nos jours, le support de chaque film est un fichier numérique, image et son, qui pèse en moyenne 200 grammes quand il n’est pas dématérialisé. On a jeté un peu partout des quantités de bobines et de pellicules...
Pour mes films et ceux de Jacques Demy on s’est retrouvés avec des copies et des copies, dont les salles de cinéma ne veulent plus.
On sait que je m’intéresse au glanage et au recyclage.
C’est la troisième cabane que je construis.
Pour chacun de mes films j’imagine une forme particulière.
Le film Le Bonheur contait l’histoire d’un couple heureux, incarné par Jean-Claude Drouot, sa femme et ses enfants.
Ils aimaient les pique-niques. J’avais tourné en Ile-de-France en pensant aux peintres impressionnistes.
On entendait du Mozart.
Le générique était tourné près d’un champ de tournesols, ces fleurs d’été et de bonheur.
Cette serre avec ses doubles fenêtres si particulières est fabriquée avec une copie entière du film, 2159 mètres, qui permettront de compléter la construction.
Les visiteurs pourront entrer dans la cabane et voir de plus près, les images du film en transparence. 24 images de la douce Claire Drouot valent une seconde de film. On est entourés par la durée du film et par les images d’un temps passé.
Quant aux boîtes pour transporter les bobines elles sont devenues obsolètes.
J’aime ces boîtes. Je me souviens qu’on en trimballait des masse (une centaine au moins) qui tintaient quand on les jetait dans les coffres de voiture pour aller mixer les films. Des boites pour l’image, pour les dialogues en direct, pour les musiques,
pour les bruits...
Est-ce encore nostalgie et/ou recyclage ?
Une arche royale nous fait entrer dans la salle. Elle est faite de ces boîtes... vides maintenant.
On entre dans le royaume de la seconde vie des films.
Agnès Varda, texte publié sur le site de la galerie Nathalie Obadia à l’occasion de l’exposition de la Serre du Bonheur.