Nos îles numériques

entre connexion et déconnexion

Machines

mardi 1er décembre 2020

Il fallait d’abord une machine à écrire (celle de ma mère, une Hermès Baby crois-je me souvenir, une portable bleue Japy qui se logeait dans son enveloppe, une autre encore, une Underwood ancienne manière trouvée aux puces d’Aligre qui marchait bien, le ruban bicolore, le film de Sam Fuller Underwood USA pour témoin puis elles furent électriques à boules mais c’est une autre affaire) (une image de lui buvant quelque chose dans un Wenders ville blanche je crois bien) je ne cherche pas – il y a avec cette affaire-là (celle qui nous occupe en général, mais pas aujourd’hui, une espèce d’appétence à l’information – quelle année, quelles circonstances, qu’est-ce qui en est dit dans l’encyclopédie, vite fais voir, deux ou trois choses qu’on saura du truc on oublie immédiatement) – il y avait alors quatre-vingts puis quatre-vingt-un des mémoires puis d’autres choses à retourner à l’administration – celui sur Fuller, puis celui sur le film-annonce puis celui sur les Gitans puis celui sur le cahier de présence (ah non, ces deux-là c’était en socio fin de siècle) puis celui sur autre chose encore, je ne me souviens plus mais il y avait aussi les articles de l’avant-scène cinéma (c’était S. qui les tapait à la machine – perdue de vue) alors on s’y est mis – toujours avec deux doigts, les deux majeurs – la machine à boule Olivetti qui avait un écran d’une seule ligne et quarante caractères mais on pouvait modifier le texte sans se servir des petits tickets oblitérateurs blancs (combien de fautes de frappe par ligne ?) Il fallait se mettre à écrire : ça s’est passé en soixante-dix-sept puis huit, licence en poche on a abandonné les sciences on est passé aux arts – des critiques de films, des histoires à dormir debout – le carnet rouge et noir qui était dans la bibliothèque de derrière le bureau de la maison brûlée – vingt-cinq ans – on n’arrivait pas à se relire, il aurait fallu pouvoir, ma mère a retranscrit le mémoire sur Fuller (je le lui ai envoyé à Los Angeles quand il y vivait – le croisant à Paris un jour il m’a affirmé avec son accent amerlok à couper à la hache « ça flatte mon égo ! » et son gros rire en cigare) – beaucoup avec le cinéma donc que ces machines qui deviendront au siècle suivant ces écrans affublés de clavier modulateur/démodulateur imprimante pour faire bonne mesure figure caméra micro (ainsi que le téléphone de nos jours : il ne leur manque presque rien, on dirait des couteaux suisses).

Piero de Belleville