Les lieux et les moments
mardi 15 décembre 2020
La façon dont sont posées les questions de ce quatrième épisode est assez révélatrice. À aucun moment on ne demande si on ne se connecte pas. Si, tout de même, on se demande si par hasard on ne serait pas trop connecté. Comme si l’idée même d’être hors connexion était devenue tout simplement impensable. J’ai le privilège — je dis ça en tant que témoin du temps qui passe — avec tous les gens de ma génération d’avoir connu l’avant Internet et l’après. Et donc d’être bien placé pour savoir que c’est possible de vivre sans connexion. Donc qu’est-ce qui s’est passé ? C’est assez remarquable quand on regarde les œuvres d’anticipations d’avant l’Internet (par exemple Blade Runner, Orange mécanique, 2001 l’odyssée de l’espace ou lorsqu’on lit de la SF des années 60) de voir à quel point les auteurs n’avaient pas anticipé ce tout connexion. C’est avec les œuvres Cyber Punk (je pense au Neuromancien publié en 1984) que l’on commence à entrevoir l’invasion de la connexion et des réalités virtuelles dans la vie quotidienne et pas forcément d’un point vu très positif. Je revoyais, il n’y a pas longtemps, Orange mécanique, donc une œuvre futuriste, et un tout petit bête détail a créée une dissonance dans le visionnage : lorsqu’Alex DeLage s’introduit chez ses victimes en prétextant qu’il doit téléphoner pour signaler un accident grave, c’est du point de vue du script, une situation scénaristique qui serait maintenant impossible d’imaginer, effectivement qui demanderait à utiliser un téléphone fixe pour s’introduire chez les gens ? Tout ça pour dire que nous sommes maintenant arrivés, de fait, dans une situation, où ne pas être connecté n’est même plus quelque chose de pensable et que le contraire est un fait incongru et préhistorique. Et cette constatation est d’autant plus violente pour celui qui comme moi (mais je ne suis pas le seul) n’est pas toujours connecté ou voir pour d’autres ne l’est pas du tout. Comme j’ai eu l’occasion de le dire dans les autres épisodes, je suis connecté au travail et à la maison, mais dès que je sors, je suis hors connexion, n’ayant tout simplement pas de smartphone, ce qui étonne les gens autour de moi même les plus raisonnables. Je ne suis pas sûr que cet étonnement, ou même ne plus faire l’effort de cacher son étonnement vis-à-vis du non connecté soit bien normal. J’imagine que l’on a eu les mêmes réflexes vis-à-vis de la voiture, l’eau courante, l’électricité, le supermarché, mais voilà, je ne suis pas à cheval sur deux époques en ce qui concerne ces progrès. Mais malgré le fait que je sois a-smart phone, on ne peut même pas dire que je sois faiblement connecté. J’arrive au boulot, j’ouvre la connexion Internet, de toute façon cela se fait maintenant tout seul avec l’ouverture du PC (ce qui n’était pas le cas au début d’Internet, il fallait aller ouvrir l’utilitaire pour obtenir sa connexion). C’est-à-dire que l’on n’imagine même plus utiliser son pc sans connexion. Donc en ce qui me concerne, au minimum, ouverture Facebook, alors qu’être tout le temps connecté sur cette application n’a en soi aucun intérêt, donc pourquoi est-ce que je le fais ? Pourquoi ce réflexe pavlovien me pousse à ouvrir cette application que globalement je méprise ? Donc tout ça pour dire que la question de cet épisode 4, montre à quel point on s’est coincé et je me suis coincé dans des comportements dictés par un contexte et usage culturel. Il y a là une vision de la vie terriblement déterministe un peu inquiétante.
Julien Sallé