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jour de marché

lundi 23 mars 2020 - Ce qui nous empêche

midi au soleil — l’herbe est fraîche, les arbres vivent — au ciel les oiseaux — les aéroplanes sont moins nombreux, on pensait au volcan, voilà dix ans, qui s’était tout à coup réveillé : la Terre avait-elle grondé alors ? Devant nous se tient l’avenir : on ne distingue pas bien son nom ; non plus son apparence — il y a dans le monde, dans ce monde-ci, des gens qui s’arment pour se défendre — contre ceux qui veulent les attaquer, les blesser, les déposséder — il y a dans le monde de nombreuses façons d’honorer les dieux — beaucoup n’y croient pas – il y a des simulacres, des sortilèges : les dire les fait exister — je suis né d’un continent où la superstition fait loi — sur le bord de la poche poitrine de sa veste, mon père portait un poisson — lequel combat (comme on sait) le mauvais œil – il y a des choses que nous ne maîtrisons pas — je pensais à une espèce de répétition générale : nous ne manquons de rien, nous avons notre énergie électrique — qu’adviendrait-il à ce monde si on l’en privait ? Alerte sanitaire dit la radio — guerre dit un autre — aurons-nous des nouvelles ? celle qui m’a atteint parlait de la « ruée des étazuniens chez les armuriers » — les trois substantifs sont à mettre entre guillemets sujets à forte caution — lire plutôt ? Ou écrire ? La force de l’écriture ou du destin — il y a dans le monde où je suis né quelque chose qui indique ce destin — j’ai tant aimé cette musique — celle du monde, sans doute — nous sommes à la merci d’un coup du sort — est-ce le sort qui a ainsi fait apparaître au loin, comme une nuée, ces milliers de milliers de milliers d’organismes, d’êtres plus ou moins vivants, plus ou moins mortels ? nous comptons, nous avons des comptes et nous les faisons, parfois nous les réglons et dans les jardins les enfants crient — dans les rues de Bologne, les gens chantent — nous avions tant aimé l’Italie, les Abruzzes de cet été — le Gargano des étés d’avant — n’applaudissions-nous pas les policiers du temps des attentats de 2015 ? Blessés, tués, niés, oubliés…

on en aurait fini en mai me disait un ami non un cousin — un ami — : non, dire non, m’écrire plutôt — nous avions encore le téléphone, l’internet, le chauffage, le gaz pour cuisiner, le toit pour nous abriter, les légumes pour nous nourrir, il y avait une certitude, le monde reviendrait à la normale — des gélules pour faire tomber la fièvre — des A2D imprimées remplies renseignées signées datées paraphées : le code devait être respecté — au marché les commerçants indiquaient manquer de poissons, ils ne sortent plus, comment voulez-vous, le dentiste disait qu’il recevait, oui, prendre rendez-vous par téléphone oui, il y avait deux ou trois personnes en dehors des pharmacies qui attendaient que les choses avancent — si au moins disait l’un si au moins ça pouvait les faire réfléchir… — nous en étions là au bout de deux jours on entendait les voix de ceux qui se savaient atteints, qui en avaient réchappé — des milliers et des milliers d’habitants terriens, on martelait ces mots dans le poste (le marteau pour faire entrer le burin à force dans les crânes) (on s’angoisse) — des chiffres d’Italie et d’Espagne et d’Allemagne — on frappait sur les millions on frappait sur les milliards — débloqués, cuisinés, frits, le soleil brillait encore, sur les routes passaient les camions de ramassage du lait — les éboueurs vidaient les poubelles la nuit sous des projecteurs puissants — mercredi sac jaune — j’avais acheté le journal, des rubriques m’avaient attiré, le cours du veau, celui du maïs ou du tourteau de colza (cours du jour : 242 euros la tonne) — les courses de chevaux, non c’était annulé — les jeux Olympiques se joueraient-ils ? on attendait de savoir si le tournoi sur terre rouge et battue du grand schlem serait reporté à septembre, on le savait, il était sain et sauf -