Confinement jour 12, samedi 28 mars : quand soudain, un accident
samedi 13 juin 2020 - Ce qui nous empêche
Il y a la gym du matin, le Tabata un soir sur deux, les travaux du jardin (j’ai dégagé l’essentiel de la structure métallique aux muscles, à la scie, à la hache), des échanges chaleureux avec ma famille, plutôt des bonnes nouvelles dans l’ensemble, compte tenu du contexte, des amis qui guérissent, une petite question existentielle affective - un luxe par les temps qui courent -. Bref, ça allait plutôt pas si mal. Je vois la fin de la quarantaine avec bon espoir, même si je ne serai vraiment tranquille que mercredi.
Et puis à 21h01 (au vu de l’horodatage d’une photo que j’ai prise presque immédiatement après, précisément à cet effet, d’avoir une trace) alors que nous étions en train de dîner, une voiture est passée venant de Lessay, très rapidement. Vraiment très.
J’ai eu le temps de penser : Quand même les mecs qui ont le droit de circuler ils se croient tout permis d’être seuls et ils roulent comme des malades dans les villes (1).
Il y avait de fortes rafales de vents.
Nous avons entendu un claquement métallique très bref et très fort.
Ça venait de pas loin du tout, plutôt vers le garage Peugeot, lequel se situe de l’autre côté de la rue, à moins de 100 mètres de la maison.
À cause de la rafale de vent qui venait de souffler, j’ai pensé à un morceau du toit de tôle qui se serait envolé et aurait chu. Je suis montée à la fenêtre de la chambre. Une canette comme celles de bière ou de coca roulait sous le vent, de la ville vers le Aldi, et dans un silence de mort. Ça faisait western quand passent les buissons.
J’ai alors vu un homme vêtu d’un survêtement gris clair passer en courant, dans le sens de Lessay vers le centre ville. À première vue, rien ne semblait bizarre, si ce n’était sa présence puisqu’il y a confinement. Rien d’anormal vers le garage. J’ai commencé à me dire Quand même c’est curieux comme cette autorisation de course à pied dans le confinement pousse les gens à courir à toute heure et par tout temps.
Sur ma gauche j’ai entrevu deux silhouettes vêtues de noir. Un homme et une femme, il disait Je l’ai vu passer il allait à toute bombe, il filait comme un boulet. La femme était déjà au téléphone, il était évident, aux bribes qui me parvenaient qu’elle appelait les pompiers. Le premier homme avait atteint une voiture qui semblait près du garage garée contre le mur. En fait elle était en plein dedans. Il est revenu vers les deux autres, qui avançaient vers lui, en disant Il est inconscient.
Les secours posaient à la femme des questions, nombre de personnes (un seul un homme) état de conscience, s’ils pouvaient accéder à lui. L’homme au survêtement gris est retourné vers la voiture, il n’arrivait pas à ouvrir. Finalement, ils ont pu tenter de faire quelque chose, par le hayon.
Mon co-confiné a reconnu le gars en noir (qui entre-temps avait couru jusqu’à la voiture accidentée), un camarade de pétanque qui bossait dans le nucléaire, à Flamanville. Il m’a semblé qu’il agissait exactement comme il le fallait, probablement de par son travail formé aux premiers secours. De toutes façons à 21h07, les secours professionnels étaient là, les premiers pompiers en tout cas.
Très vite quatre véhicules de pompiers, puis les gendarmes et un véhicule du Samu 50, aux occupants dûment masqués. Les autres intervenants n’étaient pas particulièrement équipés. Des masques sont apparus plus tard.
J’ai LT volontairement pour garder une trace.
Je suis quasi certaine qu’il n’y a pas eu l’ombre d’une tentative de freinage. C’est pour cette raison que je n’avais pas su faire le lien entre le passage d’une voiture qui roulait à toute blinde et le bruit glaçant de claquement métallique.
L’intervention n’en finissait pas. Nous avons terminé sans goût notre repas. Le Samu ne repartait pas. L’auto accidentée était déplacée sur le côté. La route barrée. Une petite voiture qui arrivait, elle aussi venant de Lessay a dû faire demi-tour alors qu’un second véhicule de gendarmerie arrivait.
Vers 21h30 (pas certaine de l’horaire) les cloches de l’église ont sonné. Et c’était d’autant plus étrange qu’à aucun moment nous n’avions entendu les sirènes des pompiers ni le son (sauf un très bref instant comme s’il avait été déclenché par mégarde et aussitôt éteint) des véhicules de secours ou de gendarmerie.
Je ne sais si l’un des deux voisins témoins (l’homme au survêtement gris et l’autre en noir) sont intervenus sur l’engin accidenté, mais le moteur semblait coupé, les phares vite éteints, pas de dangers d’incendie. Je m’étais tenue prête à intervenir (j’ai le PSC1 que diable) mais ils assuraient et les secours, vraiment, sont arrivés très vite.
Que l’intervention dure était mauvais signe. D’autant plus que les intervenants du Samu ne s’activaient même plus. Ni qu’aucun véhicule ne repartait comme pour conduire d’urgence un blessé à l’hôpital.
À 22h54 une dépanneuse et le dernier véhicule de secours ont quitté les lieux. L’état de la voiture sur la dépanneuse passant sous notre fenêtre ne m’a pas laissé grand espoir.
La presse locale qui fait son taf vite et plutôt bien (pas la photo des bons lieux et une légère erreur sur la géolocalisation, mais tout le reste c’était ça) m’a confirmé très peu après ce que je craignais. Le conducteur ne s’en était pas tiré.
Je connais désormais l’un des sons de la mort qui survient. Ce claquement métallique inclassable.
Cet accident est un mystère. C’est quasiment une ligne droite. Il n’y avait pas un chat (ou peut-être si, un chat qui traversait pile à ce moment là). Il n’y a pas eu de bruit de freinage ou de dévier sa route. Pourquoi roulait-il si vite ? Était-ce un malaise ?
Quelqu’un suggérait un suicide. J’ai du mal à croire qu’on choisisse délibérément de se jeter contre ce pan de mur là, si discret, si légèrement en biais par rapport à la route. The perfect wall to die ? J’en doute.
Longtemps plus tard, l’Homme de la maison a eu une petite peur rétrospective pour notre voiture qui aurait pu être percutée. Elle était garée à proximité.
Le confinement a peut-être sauvé des vies. S’il y avait eu des piétons ou d’autres véhicules, ce qui un samedi soir ordinaire à cette heure était tout à fait possible, ça se serait encore plus mal fini.
J’ai quand même tenu à faire mon compte rendu des infos italiennes. Plus de 10 000 morts de l’épidémie dans mon second pays. L’Espagne aussi est très mal partie. Et aux États-Unis, une catastrophe supérieure s’annonce, due au coût des tests dans un premier temps, et à leurs dirigeants qui sont restés dans le déni un long moment.
Le vent continue de souffler en tempête. J’ai bien fait d’enlever la plus grande partie de la structure métallique du jardin sans plus tarder, alors qu’elle était déjà bien entamée.
(1) Parce que ce n’était pas la première voiture que j’entendais rouler trop vite. Mais celle-ci, c’était particulièrement trop.
Statistiques : 660 706 cas (dont : 30 652 morts et 139 415 guéris)
Source Coronavirus COVID-19 Global Cases by John Hopkins CSSE