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Espèces d’espaces, Georges Perec : villes étrangères

dimanche 23 février 2020, par Anne Savelli

On sait aller de la gare, ou de l’air terminal, à son hôtel. On souhaite qu’il n’en soit pas trop éloigné. On voudrait être dans le centre. On étudie soigneusement le plan de la ville. On repère les musées, les parcs, les endroits que l’on vous a fortement recommandé d’aller voir.

On va voir les tableaux et les églises. On aimerait bien se promener, flâner, mais on n’ose pas ; on ne sait pas aller à la dérive, on a peur de se perdre. On ne marche même pas vraiment, on arpente. On ne sait pas très bien quoi regarder. On est presque ému si l’on rencontre le bureau d’Air France, presque au bord des larmes de voir Le Monde dans un kiosque à journaux. Aucun lieu ne se laisse rattacher à un souvenir, à une émotion, à un visage. On repère des salons de thé, des cafétérias, des milk-bars, des tavernes, des restaurants. On passe devant une statue. C’est celle de Ludwig Spankerfel di Nominatore, le célèbre brasseur. On regarde avec intérêt des jeux complets de clefs anglaises (on a deux heures à perdre et l’on se promène pendant deux heures ; pourquoi serait-on plus particulièrement attiré par ceci ou par cela ? Espace neutre, non encore investi, pratiquement sans repères ; on ne sait pas combien de temps il faut pour aller d’un endroit à un autre ; du coup on est toujours terriblement en avance).

Georges Perec, Espèces d’espaces, 1974.

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