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Y a-t-il un nid à Châtenay-Malabry ?

jeudi 20 décembre 2018, par Mathilde Mendes

La ville n’est pas village parce qu’il lui manque

le calme la nuit
le calme le jour aussi
c’est angoissant mais c’est charmant
sauf quand on n’a que vingt ans

un bus toutes les 43 minutes
le dernier à 20h30, chez soi à 21h15
trois bus le dimanche avec un peu de chance
je suis restée chez moi toute mon enfance
j’ai écrit des lignes et des lignes et je n’en ai toujours pas trouvé une de métro
il fallait peut-être se lever plus tôt
les parents qui doivent nous emmener partout en voiture
ils ne râlent même plus, pauvres progénitures
maman, tu peux recharger ma carte Navigo
la prochaine fois que tu vas sur ...eaux ?

l’ennui mortel de grandir
l’envie grandissante de partir
la peur agaçante de vivre
le besoin de poursuivre
ce que j’ai vu dans les livres

le Carrefour qui ferme à 19h30, 12h00 le dimanche dépêche-toi
on aime le pain frais eh bien tant pis
il fallait y réfléchir avant d’accepter un gentilé en "-ois"
ça ne marchera jamais, une boulangerie ici

les carrefours déserts tout le temps
les routes qu’on traverse en dehors des passages piétons sans manquer de mourir parce qu’il n’y a personne, y’a jamais personne
la certitude qu’on ne va pas mourir
on meurt déjà d’ennui
déjà dit

le maire qui éteint les lampadaires la nuit, il faut bien faire des économies
j’économise lumière, logique, bruit, vie
du coup

les fêtes du village, toujours les mêmes, toujours des vieux, toujours il pleut
je ne veux plus y aller
je ne veux plus manger vos pommes
on m’avait promis un poney y’en a même pas
le groupe engagé chante faux
et mon stand ne se vend pas
mais quelle jolie petite veste que voilà ?

l’épandage dans les champs
vivre les fenêtres fermées tout l’été
on sue on étouffe on sort les ventilos
mais si ça pue c’est que c’est de l’engrais naturel
d’ailleurs ça se voit aux coquelicots sur le bas-côté
les coquelicots ça craint les pesticides, tout le monde sait ça

sinon
le vide culturel, pas de théâtre, pas de cinéma, pas de restaurants, pas de boutiques, rien pour me maintenir debout quand ça bout dans ma tête
un parc où il n’y a rien, même pas de chiens alors que tout le monde a un chien
où sont donc passés les chiens ?
est-ce que les chats les ont bouffés ?
je ne vois plus les rouge-gorges,
est-ce qu’ils ont fondu ?

une toute petite bibliothèque où faire son stage de 3e - pratique - mais l’ancienne bibliothécaire est partie
j’ai passé mes mercredis sur ces canapés
un crabe, l’autre s’est effacé
je n’ai jamais rien vu de plus impatient qu’un enfant
et beaucoup de choses plus réjouissantes, malheureusement
je n’aime pas tellement les enfants
j’aurais peut-être pu le dire à la bibliothécaire en passant
dommage - car l’ancienne bibliothécaire est partie

une école-bureau de vote, je serais toute ma vie dans ces couloirs
on ne sort pas du village dans lequel on est né
je verrais toujours l’empreinte de ma petite main
il est toujours là, l’oiseau de paradis
celui dans la salle où on chantait,
celui dans la salle de la kermesse ?
s’ils ne jettent rien
y a-t-il encore de la place
pour les dessins de ceux d’après ?

est-ce qu’on s’adosse encore contre les murs du préau ?
est-ce que les marches noires pourrissent encore ?
est-ce qu’on dit encore que les bouleaux c’est du boulot ?
est-ce qu’on s’effrite toujours les genoux contre le béton ?
est-ce que Capucine embrasse toujours les garçons ?
est-ce que le surveillant est toujours mignon ?
est-ce que je peux vivre ça à nouveau ?
est-ce que ça aurait été mieux à Louis-le-Grand ?

un collège-palais de verre
c’était un petit enfer
six cents êtres
aucune envie d’y être
blocus à un
couloirs de deux mètres
trois vidéoprojecteurs
pourquoi regretter Henri-IV ?
un collège de perdu, dix de retrouvés
et moi je ne veux pas revivre ces années

un lycée-hors village hors sujet
Jeux Olympiques de la paresse
mais j’y ai quand même participé
pas une couronne pour palmarès
et malgré toute sa satanée réputation
je ne voudrais jamais aller à Fénelon
on n’aurait pas ri de même
sans passer par la case prison
on n’aurait pas pleuré pareil
un janvier noir, près d’Odéon
on n’aurait pas caillé ensemble
sans chauffage, dans nos blousons

et puis
des gens qu’on ne veut plus voir

des gens nouveaux de son âge
suspects, où étiez-vous à l’heure où j’ai grandi ?
films, livres, séries ont menti
il n’y avait pas d’amis
pour aujourd’hui et toute une vie
dans la rue d’en face de mon village

surtout
l’envie de la ville, de son toucher, de son bruit, de sa vue
l’envie de gens, de foule, d’un peu d’ochlophobie
l’envie de choisir, d’avoir peur, d’aller loin, de (sa)voir
l’envie de bouillir, d’avoir faim, d’aller vite, de (pour)suivre
l’envie de ne pas moisir ici, d’avoir du Wi-Fi, d’aller bien, de (con)vaincre

les gens de la ville ne sauront jamais ce que c’est le manque de ville
mais je
saurais
ce que c’est
de
tomber
du
nid.

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