la petite couronne, la ceinture rouge, la banlieue : Ivry-sur Seine jouxte Paris – ici dans les années quatre-vingt on officiait en enquête dite « poubelles » – le temps est passé – la cité Gagarine est détruite, il n’en reste rien que des oripeaux pour laisser place à entre autres une extension de gare – « faire et défaire c’est travailler » et « quand le bâtiment va tout va » – le film prend pour héroïne principale cette cité, dite alors Gagarine (on y voit des bandes d’actualités de l’époque, le tout début des années soixante, où le cosmonaute Youri Gagarine vient en personne inaugurer en 1963) (non loin, une autre du même ordre, dite Maurice Thorez, bâtie en 1953, est un des décors de ce film-ci – enquêtée par votre serviteur d’ailleurs – mais pas la Gagarine)
J’ai souvenir d’un film titré Soldat de papier (Aleksey German Junior, 2008) qui raconte l’aventure (disons) des premiers cosmonautes (une merveille, tragique sans doute)
Cette époque-là, le début des années soixante, et aujourd’hui le début des années vingt, ont-elles quelque chose de commun ? Sinon ces établissements de briques, ces décors et ces gens donc ? Les conditions de production de ce film, en tout cas, semblent porter quelques traces de l’époque antérieure. Une impression onirique, quelque chose d’inatteignable peut-être : ce serait un rêve
une volonté sans faille
pour un désir peut-être permanent – à l’image Youri (Alseni Bathily) qui veut sauver cette cité de la démolition – il s’y emploie avec ses amis (si on criait « la liberté ou la mort ! » ici lui crie « Gagarine for ever ! »)
et donc il repeint
répare le réseau électrique, les ascenseurs, les ampoules
– en pure perte ? Peut-être pas – pas complètement sans doute – les lieux où se déroulent l’action (disons) se présentaient ainsi, il n’y a que dix ans peut-être
on avait demandé aux deux réalisateurs un film d’un quart d’heure avec les habitants du quartier (le « on » de la phrase précédente serait à déterminer – je suis un peu, dans ces circonvolutions, comme celui qui (toutes proportions gardées, hein) chevauche sa Rossinante et adore sa Dulcinée) et cette situation (sacrée sans doute) a le don de ma fatiguer) (apparemment les architectes en charge de la démolition qui se trouvent être des »amis » des réalisateurs) – en est sorti sans doute aucun le film demandé mais aussi celui-ci je suppose – Youri n’est pas que bricoleur, il est aussi astronome (je ne dis pas « amateur » qui a le don de dévaloriser) – il aime regarder le ciel – on observera donc l’éclipse (une allégorie)
à travers des lunettes assombries
on a tourné dans ces murs de briques rouges (le béton des années 60, l’amiante de ces heures-là, rouges comme la ceinture détruite de nos jours – on oublie, on détruit, on reconstruit – le bâtiment va – il y avait là des gens – ça ne fait rien, on va danser -à trois pas, une cité nommée Maurice Thorez reste encore sur ses fondations (on y a tourné quelques plans)
Ivry-sur-Seine au sud de Paris – à présent la zone se nomme Gagarine-Truillot (elle se composera d’un agro-quartier) – rien n’est perdu peut-être – et peut-être pour une occasion, cette occasion on a dansé sur les toits
on a ri
on a chanté
c’est sans doute parce qu’on y croit
puis moins
mais dans l’histoire, il faut une histoire tu sais bien, il y aura cette jeune femme romanichelle probablement
séduite
par la passion de Youri
et d’autres encore, comme ce vendeur de cannabis – d’abord peut-être acariâtre puis amical –
ici dans le jardin suspendu réalisé par Youri dans l’immeuble qu’il est désormais le seul à habiter – ici une autre locataire de l’immeuble (avant démolition, indiscutable terreur)
et les choses comme les choses iront, que Diana désire partir
ou pas ne changerait rien – qu’on danse encore (formidable séquence que celle de Dali dansant comme un derviche
) le temps fait son œuvre ainsi que tourne
, toujours, le monde
qui jamais ne cessera de tourner
Gagarine, un film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh
Youri : Alséni Bathily Houssam : Jamil McCraven Diana : Lyna Khoudri Fari : Farida Rahouad Dali : Finnegan Oldfield