Marseille : la gloire du monde

Voilà près de quarante ans que Robert Guédiguian (66 ans – premier film à vingt huit ans) nous entretient de Marseille, de l’Estaque, et des gens de peu (ceux de Pierre Sansot, qu’il nomme lui les petites gens). Quelques incartades (comme celle avec Michel Bouquet dans le rôle de Tonton, avec le Promeneur du champ-de-Mars (2005) ou avec l’affaire Manouchian (L’Armée du crime, 2009) mais généralement, on tourne à Marseille, ou pas si loin que ça.
Dans la plupart des cas, on nous parle dans ces films de nous à travers un trio d’acteurs (Ariane Ascaride – primée pour son rôle ici)

Jean-PIerre Daroussin (qui joue son mari, chauffeur de bus – Richard)

et Gérard Meylan (qui joue Daniel, le père de Mathilda)

Cette fois-ci, on entre dans le drame : c’est notre époque qui veut ça (et, en effet, elle semble dramatique, ces temps-ci, avec notamment l’idéologie développée depuis une trentaine d’années au moins par nos dirigeants). Cette façon de faire s’incarne peut-être dans le tissu même de la ville.

En 2015, le coin de la rue où logent Sylvie et Richard (interprétés par Ariane Ascaride et Jean-Pierre Daroussin)

La ville change (et parfois dramatiquement : voir la rue d’Aubagne, l’année dernière (1)…).

le même coin en 2019

Sylvie fait des ménages (plutôt la nuit) pour une boite d’intérim

Richard conduit un bus. Lorsqu’elle rentre au petit matin chez elle (on a vu le contrechamp, voici le champ), elle voit ceci

quand le bâtiment va – en 2015, nous étions dans ces dispositions

C’est ainsi, la ville vit. Le décor du drame tient aussi au magasin que tiennent Aurore et Bruno (ici il y a quelques années)

désaffecté de nos jours

le bus passe – c’est adéquat.

Aurore est la vraie fille du couple Sylvie et Richard (elle est interprétée par Lola Naymark) mais Mathilda (Sylvie est sa mère, Richard son père adoptif) (c’est Anaïs Demoustier qui l’interprète) elle, est la fille de Sylvie – son père (c’est Daniel) est en prison pour meurtre (d’assez légitime défense, cependant).

Et, au début du film, Mathilda accouche de la petite Gloria.

Et c’est Gloria qui est le scandale du film : le père (assez probable) de cette petite fille (dont on voit l’accouchement, dans un hommage du réalisateur à Artavazd Pelechian), le père donc, prénommé Nicolas (Robinson Stévenin) ne parvient pas à gagner sa vie : ainsi que le héros de « Sorry we missed you » (Ken Loach, 2019), il n’a pu faire autrement que d’opter pour un statut contemporain (auto-entrepreneur : tous les risques, peu de gains). Quant à sa mère (Mathilda donc) elle ne trouve guère de travail sinon mal payé (vendeuse) : sans doute son caractère un peu trop tranché en est-il la cause – mais on ne sait pas trop. Ce qu’on sait, en revanche, c’est qu’elle entretient avec son beau-frère Bruno (sur l’image ci-dessus, ce regard de Mathilda est pour Bruno) une liaison…
Une histoire de famille dans une ville de la si magnifique start-up nation/premier de cordée à vomir. Aurore et son mari, Bruno, y croient dur comme fer, à cet idéal. Eux travaillent et gagnent leur vie, c’est même la raison pour laquelle ils n’ont pas d’enfant.

Aurore (Lola Naymark) et Bruno (Grégoire Leprince-Ringuet)

Le drame est posé, se terminera mal, noir et futile. L’entraide demandée par les parents ne verra pas la jour, et Daniel continuera ses poésies chinoises où il les a commencées.


En réalité, c’est l’histoire de Daniel qui est le support du film (toutes les histoires en sont le support, mais celle de Daniel est sans doute la plus signifiante, tout au moins pour le réalisateur).

On dira que le point de vue du réalisateur prime – sans doute – et que les images de femmes données sont parfaitement limite – et ce sera vrai. Mais pourtant, le film reste attachant – comment savoir pourquoi ?

Daniel et Richard promènent la petite gloria

Il y a les acteurs, certes (les hommes – âgés – sont nettement plus gâtés dans leurs rôles que les femmes). Mais il y a aussi (et peut-être surtout) la ville

qui tient une place et un rôle (peut-être le premier) dans toute ces histoires – dans l’histoire de la petite Gloria, surtout.

Cette ville, un port de nuit

comme de jour

On ne va pas dire qu’on sort ragaillardi du film, non, et même plutôt désespéré mais on l’était déjà avant d’entrer : le monde tel qu’il est, et ses turpitudes et ses trahisons et ses petits tas de misérables petits secrets…

On vous le conseille quand même.

Gloria Mundi, un film de Robert Guédiguian.

(« Sic transit gloria mundi » – sans majuscule à Gloria – « c’est ainsi que s’éteint (ou « que passe ») la gloire du monde »)

(1) : la revue mensuelle CQFD (Marseille) parle du drame de l’effondrement de ces deux immeubles, un an après, dans son numéro 181 – de novembre 2019.

Paris : rue Daguerre

Nurith Aviv a participé au tournage du film Daguerréotypes (1975), projeté dans le cadre de la cinémathèque du documentaire (centre Pompidou, Trésors du doc) le 17 octobre dernier. C’est à ce titre qu’elle a été interrogée, après cette projection, en tant que directrice de la photographie. Elle a aussi participé, comme directrice photo, à quatre autres films d’Agnès Varda : L’une chante l’autre pas (1976) ; Documenteur (1982) ; Sept pièces cuisine salle de bain à saisir (CM- 1984) ; Jane B. par Agnès V. (1987).
L’image ci-dessus représente deux des habitants de la rue Daguerre, Marcelle et Léonce, qui tenaient alors la parfumerie « Au Chardon Bleu ». On peut retrouver une exploration de la rue Daguerre (en son ouest) sur Pendant le week-end.

Les questions en italiques et claires sont de la personne qui interrogeait Nurith Aviv ; les questions du public sont en gras dans la suite.

Comment avez-vous connu Agnès Varda ?
Eh bien, très simplement, comme c’était à l’époque. C’était en 75. Donc au téléphone elle m’a appelée : « Bonjour, c’est Agnès Varda. J’ai vu l’image d’un film que vous avez fait, je l’ai vu à Cannes et je voulais vous féliciter ». Je me dis, c’est bien, Agnès Varda veut me féliciter pour Erica Minor, le film de Bertrand van Effentere qui est passé à Cannes, très bien, et puis elle me dit : « Vous voulez bien travailler avec moi ? ».  J’ai dit « Bon, OK » – « Vous pouvez passer demain ? » – « Oui, je peux passer demain… » J’arrive et elle me dit, « Bon il y a, après-demain, il y a ce type-là [Mystag, le magicien] qui passe au café, est-ce qu’on peut commencer à tourner demain ? » Le lendemain on a commencé à tourner et ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est qu’elle a vu les images que j’ai faites dans un long métrage et elle a décidé que c’est moi qui devait tourner et elle n’a pas du tout… C’est-à-dire que pendant une semaine, elle me cherchait par des voies complètement, complètement détournées. Elle a regardé la liste de tous les techniciens qui ont fait le film, elle a appelé tout le monde et finalement elle est tombée sur la femme d’un ingénieur du son qui lui a donné mon adresse. Mais elle était cool… Moi je n’aurais pas été jusqu’au dernier moment, moi je n’aurais pas eu… mais voilà, elle, elle m’a dit qu’elle avait vu cette image-là et qu’elle était avec Jacques Demy et que tous les deux étaient très… Enfin, du cadre, de la lumière, ça leur a beaucoup plu. Je trouve ça génial de la part de quelqu’un comme ça, elle ne savait pas qui j’étais au juste, elle a aussi prétendu qu’elle ne savait pas si j’étais homme ou femme…

Quelle était l’équipe lors du tournage, vous étiez combien ?
Eh bien, j’avais un assistant qui était à l’époque Denis Gheerbrandt, mais je crois que ça ne se passait pas très bien entre lui et Agnès. Je crois qu’en cours de route quelque chose… mais je ne sais pas, en fait bon voilà, après je ne me rappelle pas qu’il y avait un électricien, mais il devait y avoir quand même un ingénieur du son, donc ça fait qu’on était quand même au moins quatre, oui…

Et comment se faisait la connexion entre Agnès Varda et vous, sur le tournage elle était derrière le cadre vous aviez un système de communication… parce que la mise en scène est très précise…
Ça dépend… C’est-à-dire que le premier jour, je m’en rappelle comme un cauchemar… Parce que pour tout, c’était : « mets-toi là »… « mets-toi là… » et « mets-toi là… mets-toi là » et c’était des plans très courts, hein… Bon, le deuxième jour on s’est trouvé chez le boucher et là, ce qui s’est passé c’est que le couple, le vieux couple là qui finit ce film [le couple du magasin Le Chardon Bleu], oui voilà, ils sont arrivés et ils ont… Moi j’ai filmé comme je pouvais donc et elle, elle ne pouvait rien dire puisque c’est un plan séquence. Donc à partir de là, elle ne pouvait rien dire, mais moi non plus, c’est-à-dire que tout d’un coup, ça se faisait et il fallait suivre, donc c’est là qu’il y a eu quelque chose qui s’est passé et à partir de ce moment-là… Je parle de tout ce qui est le… suivre les gens, on était là à suivre et elle devait faire confiance et en me faisant confiance à moi, moi aussi je pouvais me faire confiance. Vous voyez il faut laisser faire, c’est-à-dire que ce n’est pas moi, moi je ne fais rien moi je pense que c’est les gens qui font la caméra moi je dois juste… Je suis juste présente. Vraiment je dis ça très sérieusement, mais il y a aussi toute la partie qui est de la mise en scène, vraiment de la mise en scène, pas photographique mais presque… Alors là ça s’est vraiment passé super bien, c’était vraiment… et justement il ne fallait pas la parole du tout…

Intuitivement
Oui, il n’y avait plus beaucoup de paroles, moi j’ai trouvé ça vraiment… Pour tout ce qui est mis en scène parce que c’était toujours des références à la photographie, on était toutes les deux photographes donc oui, ça s’est vraiment passé dans quelque chose qui était vraiment harmonieux, alors on ne peut pas tellement comprendre comment ça s’est passé le premier jour, parce que vraiment tout au long après, tout au long c’était génial, vraiment génial.

Est-ce qu’il y a des questions, des remarques des observations dans la salle… ?
(dans la salle on apporte le micro – en attendant) Moi j’ai une question… oui, il n’y avait pas d’électricien, mais comment était l’électricité sur le tournage ?
Mais parce qu’on a tout tiré depuis chez Agnès, pour éclairer et il en fallait parce qu’à l’époque il fallait éclairer quand même, il n’y avait pas de lumière du tout, là il fallait quand même une certaine quantité de lumière donc, on a tiré un fil de chez Agnès et on tournait en 16, et on a tiré le fil de 80 mètres. On ne pouvait pas aller plus loin que 80 mètres.

Ce qui a limité le champ d’action
Oui, voilà c’est ça donc on allait dans tous les sens, au maximum 80 mètres et Agnès prétendait que c’était son cordon ombilical (rires) et Mathieu avait à l’époque un an et demi et donc il fallait qu’elle fasse quelque chose qui soit proche si vous voulez voilà… qui la reliait à la maison.

Oui, alors la question de la salle : « Bonsoir, j’ai une question un peu bête, je voulais savoir combien de temps a duré le tournage, et est-ce que les scènes étaient répétées ou alors est-ce que c’était spontané ? »
Ça dépend desquelles… répétées je ne crois pas, bien sûr il y a des scènes qui sont mises en scène, exprès, quand ils parlent des rêves, quand on voit que c’est une caméra. Et la fin, oui, tout ça est mis en scène mais le reste non, ce n’est pas répété, c’est de l’observation… Et pour le tournage je crois que c’était que quatre semaines… Mais après il y a aussi… Je crois que Agnès a eu des idées une fois qu’elle était au montage des petits bouts qu’elle a ajoutés après, comme le sourire de la Joconde, elle a trouvé que la fille ressemblait, et c’est vrai hein… Aussi des petits trucs avec le magicien, des petits trucs comme ça qu’on a faits, ça c’est la méthode Agnès hein, mais c’est des petits moments, elle monte un peu et des petits trucs qu’on a peut-être faits plus tard…

Ce qui est intéressant, c’est que vous avez dit tout à l’heure que c’était la représentation du magicien qui a déclenché le tournage…
Oui, oui, voilà parce que c’était un samedi et elle a du se dire que oui on va tourner et certainement qu’elle a eu l’idée de dire à tous les voisins d’y aller parce que comme ça, il y aurait tout le monde vous comprenez, c’est-à-dire que c’était la trame narrative pour elle, c’était à partir de là.

(de la salle) Oui, tu disais que c’était qu’elle avait dit « c’était mon cordon ombilical » et je voulais savoir à quel moment de sa vie elle avait décidé de tourner ça ?
Là c’est quand Mathieu son fils a un an et demi et qu’elle n’a fait pas de film depuis un moment.

Et avec son mari, ça va ?
Avec son mari ? Oui… là ça allait mais… là où ça n’allait pas c’est un film que j’aime beaucoup, c’est un film qui s’appelle Documenteur qui raconte le moment où ça ne va pas avec son mari. Après ils se sont retrouvés, mais le moment où ça n’allait pas, ça a donné un de ses meilleurs films en tout cas que moi j’aime beaucoup qui s’appelle Documenteur, et en anglais Emotion picture.

Est-ce que c’est un film qui a pu nourrir les vôtres, même si on voit qu’il y a surtout des différences il y a des choses qui ont pu résonner dans votre travail ?
Comme chef opérateur ou comme réalisatrice ? Parce que c’est quand même différent.

Réalisatrice ?
Comme réalisatrice… J’ai pris le contre-courant de ce que je fais comme chef opératrice, parce que justement, les films que je fais, à partir du film Circoncision et tous les films sur le langage après je me suis privée de justement de tout ce qu’il y a là, la vie des gens, je voulais vraiment me… je voulais vraiment me heurter à comment filmer la parole sans vraiment y aller en direct, frontalement et c’est ce que je continue encore, mon dernier film est pareil, mais ce n’est pas pareil non plus parce qu’il y a tout un travail qui se fait pendant un an ou deux avec tous ceux qui seront dans le film, donc ce n’est pas pareil mais justement c’est le contraire… On croit que ce sont des documentaires mais pour moi, ça ressemble plus au travail que font les acteurs au théâtre… Donc ça n’a pas non… mais je ne peux pas dire mais ce qui continue quand même, tout ce qu’on voit c’est que dans tous mes films on voit ce qui a rapport à la photographie, c’est-à-dire qu’on voit les gens qui sont debout, le cadre dans le cadre aussi.

Oui, c’est peut-être votre touche de chef-opératrice sur le film, ça, le cadre dans le cadre...
Oui peut-être, mais c’est-à-dire que c’est toujours un va et vient entre si le travail se passe bien, c’est qu’on ne peut plus savoir qui a fait quoi, parce que ça suffit aussi c’est comme jouer du jazz, on ne sait pas qui fait quoi exactement, qui lance on ne peut pas dire c’est une note, une note, une note et on ne peut pas dire, alors évidemment chaque film va nourrir celui qui va venir après, mais on ne peut pas tellement dire, ce n’est plus un plus un…

(de la salle) Vous avez coupé ensemble ?
Monter on dit, monter…

Oui, vous avez monté le film ensemble ?
Chez les Allemands on coupe, chez les Français on monte hein (rires) Non, mais ce n’est pas moi, non, c’est Agnès, mais Agnès met beaucoup beaucoup de temps pour monter, je dis « met » mais elle est quand même là, elle est là, donc oui, elle mettait beaucoup de temps pour monter ses films parce que c’était toujours tout un travail d’associations d’idées, après elle avait d’autres idées, et elle contrairement à moi, parce que pour moi le film ne se passe pas au montage, pas du tout dans mes propres films, mais elle, elle travaille beaucoup, et même elle va tourner encore après parce qu’elle a trouvé une association d’idée et qu’elle veut montrer… Mais je ne sais pas combien mais des mois et des mois…

(de la salle) Merci pour le film… Je voulais savoir si le film s’inspire de la photographie ou plutôt de l’histoire du cinéma parce qu’on voit toutes ces références à la psychologie photographie, allemande ou même je pense à l’expo… On ne donne pas leurs noms mais on sait où les trouver, c’est comme un album de famille, je voulais savoir ça.
C’est toi qui fais tout le travail là, hein… Mais je ne crois pas qu’Agnès ait des références intellectuelles, non, elle a des références à la peinture, à la photo aussi mais beaucoup à la peinture et le travail avec Agnès se fait beaucoup après, parce que j’ai fait quand même cinq films avec elle et on allait beaucoup, beaucoup ensemble voir des expositions, et pas forcément pendant le film mais dès qu’on était quelque part dès qu’on arrivait dans une ville on allait en voir beaucoup, et elle a fait aussi l’école du Louvre et pour elle c’était vraiment… et pour moi aussi d’ailleurs jusque maintenant avant que je commence un film je vais toujours au Louvre, mais c’était pour voir comment le peintre, le portrait, comment la lumière; etc. etc. La référence est beaucoup la peinture.

Est-ce qu’on peut dire que c’est une sorte de peinture vernaculaire parce que ça ressemble à ce qu’il y a juste à côté comme exposition…
C’est encore toi mais c’est formidable de faire ces associations-là, c’est bien oui justement…

Est-ce qu’on peut parler des portraits photographiques ?
Elle a la chance d’habiter la rue Daguerre et il faut le faire…

Il y a un montage aussi qu’elle faisait manuellement, avec un cache…
Oui, oui, avec Agnès tout est artisanale, tout se faisait manuellement, elle avait un cache qu’elle enlevait, qu’elle mettait oui, pas du tout elle était comme ça toujours du côté artisanal, beaucoup, comme la couture… C’est une sorte de patchwork, vous voyez, un peu comme ça, couture et patchwork.

Vous avez parlé de « retake » après le tournage, c’est par exemple le magicien, par exemple, retournage après, en cours de montage ?
Oui, il y a des petits… oui, mais vous savez c’était en 75, et je me rappelle qu’avec le magicien on avait refait le plan, par exemple avec la Joconde, oui ça je suis sûre, et aussi avec la boite, les boites de choses comme ça, oui mais elle a eu comme des idées et donc après qu’on ait tourné, elle voulait encore les boites… Bon, tout comme ça… Et je me demande si on n’avait pas tourné avec la fille, là, sur la patinoire aussi, oui j’ai l’impression que c’était plus tard, et je me dis maintenant que ce n’était pas nécessaire, mais justement moi je suis trop conceptuelle, disons, je crois que si on dit 80 mètres c’est 80 mètres et c’est tout, moi je l’aurais enlevé. (rires)

(la salle) je voulais savoir ce que vous pensez du rapport entre le quotidien et le rêve chez Agnès
Chez elle, est-ce que je dois faire sa psychanalyse … ? (rires) Non, ce que je sais c’est que moi à l’époque je faisais une psychanalyse et elle ça l’a beaucoup troublée, elle voulait tout le temps savoir ce qui se passe, et pourquoi je fais ça, et pourquoi j’en ai besoin et moi j’essayais d’expliquer, je disais que au centre de la psychanalyse, c’est le rêve et le travail sur le rêve, voilà alors moi je prétends que c’est sur l’écran, c’est-à-dire que elle a fait comme si elle était contre et tout ça, mais après elle a demandé à tout le monde de quoi il rêvait… Et les gens, ce qui est marrant c’est que les gens ils ne parlent pas du rêve de la nuit, ils ne parlent du rêve que éveillés… Alors le rêve, pour les gens à part peut-être le coiffeur, ou celui qui a fait le somnambule, oui je crois qu’il y a quelque chose comme ça, mais moi je me rappelle que ça l’a beaucoup intriguée le pourquoi je vais en analyse, que les artistes ils n’ont pas besoin d’aller en analyse de ça…

(la salle) le film a l’air de se poser dans une quotidienneté objective extraordinaire, mais en fait il devient une fiction
Une vision ?

Une fiction…
Ah oui, bien sûr

Un rêve, les gens commencent à révéler quelque chose d’eux-mêmes, et il me semble que le personnage de l’illusionniste introduit cette dimension surprenante…
Oui mais c’est ça le problème de la fiction, c’est ça…

Qui fait que le film n’est plus un documentaire, c’est quelque chose de très poétique, elle dit quelque chose…
Mais oui, bien sûr… Mais moi je ne sais pas ce que c’est que la réalité etc. parce que déjà, dès qu’on met un cadre autour de quelque chose, c’est déjà une fiction, hein, pour moi, donc après qu’est-ce qu’on appelle fiction ? Pour moi, ce n’est pas très… Et elle, elle a pris à bras le corps l’illusionniste, elle a commencé le film par là, et elle savait que ça devait aller par là intuitivement, donc elle a commencé par là, intuitivement, et après elle a suivi mais c’est ça la force d’Agnès justement, elle a fait de ça une fiction documentaire etc. Comme d’ailleurs Chantal Akerman aussi, il n’y a pas… c’est-à-dire qu’un jour on va faire ce qu’on appelle fiction et un jour ce qu’on appelle documentaire.

C’est vrai que le film, avec le magicien, serait plus dans la ligne Lumière du cinéma mais le magicien introduit Méliès…
Oui…

Éventuellement, ces références cinématographiques, cette cohabitation de ces deux lignées
Oui, mais c’est ça avec Agnès, elle allait de l’un à l’autre oui, et justement moi c’est ce à quoi je tiens beaucoup, et j’aime ça beaucoup.

Lille : au neuf de la rue

Il s’agit juste d’un fait divers.

Il faut commencer par faire une soustraction : l’affaire se déroule pour une deuxième fois (l’affaire, je veux dire l’émission de radio) il y a une semaine – il s’agit d’une rediffusion d’une émission d’octobre 2016 – ça ne change rien je sais bien mais on s’y perdrait facilement : c’est une histoire de pertes. Ça se passe ici

image mai 2008 – droite cadre le volet vert

La maison de briques est déformée – elle est assez symétrique, la fenêtre du premier étage « bow window » est déformée, on le voit aussi aux raccords défectueux des gouttières. La maison de briques joue un premier rôle.

La maison d’à côté est occupée (au minimum) par deux avocates (ce n’est pas sûr qu’il s’agisse de leur cabinet, je ne suis pas allé chercher trop loin non plus). Volets fermés, de bois foncé.

image de mai 2011

mais ici rideaux jaune d’or.

Il faut évidemment faire confiance au robot pour les dates de prises de vue. Mais mettons. On apprend par la voisine que des pigeons par centaines ont envahi les lieux de la maison voisine. Durant plusieurs mois, elle tente d’alerter mairie et autres services municipaux : elle raconte que finalement, en octobre 2012 un inspecteur de salubrité de la mairie finit par venir.

image mai 2012

(on remarque que la dame voisine a fleuri ses bacs). La maison qui nous occupe est au numéro 9. L’inspecteur vient voir, passe par l’arrière , entre dans la maison, monte à l’étage et découvre…

image juin 2014

un squelette… On remarque sur l’image de juin 14 que les fenêtres sont toutes closes (contrairement à toutes les précédentes), la porte changée, le volet du bas forclos. Les services de salubrité sont passés par là. Le squelette est celui d’un homme mort voilà plus de quinze ans…

image de juillet 14

On a changé le rideau de la fenêtre du bas. On ne sait pas : l’homme devait être un espagnol; on a retrouvé sa trace grâce à son acide désoxyribonucléique : il est mort de sa belle mort comme on dit. Tant mieux pour lui, que dieu le garde (comme disait ma grand-mère). L’Espagne, il l’ a fuie des dizaines d’années auparavant; il se peut que ce soit à cause du cette ordure de franquisme, il se peut que l’homme ait voulu se cacher.

image août 2017

Mamerto Rodrigués était son nom, on l’appelait Alberto, il était irascible, secret, ne voulait pas qu’on sache qu’il était là ( le robot a capté une ouverture de fenêtre…).

image septembre 2018

Il ne voulait pas non plus qu’on se gare devant chez lui. Il est mort là, seul. L’image plus de vingt ans plus tard, de la maison où il décéda – apparemment toujours vide…

image octobre 2018

On a changé la porte d’entrée, on a ouvert au deuxième étage. Quand à Alberto, ses restes ont été incinérés – on ne sait où ses cendres ont été épandues – une histoire ordinaire, probablement sans secret, qu’on oubliera peut-être… C’est à Lille que ça se passe

(de l’Espagne à Lille, qui peut savoir s’il est passé par des camps de réfugiés, par où , qui l’a connu ? Mystère, il a disparu…)

Alger : « Papicha »

à gauche, Shirine Boutella dans le rôle de Wassila; à droite Amira Hilda Douaouda dans celui de Samira – toutes deux adorables

Papicha, c’est un surnom qu’on donne aux jolies jeunes filles en Algérie – belle gosse, ou joli ptit lot quelque chose dans le genre (c’est le cas de le dire : le genre, voilà). Elles sont quatre ou plus, elles suivent leurs études en internat – quelques unes font le mur. C’est assez ordinaire, sinon que ça se déroule en Algérie durant les années de plomb (daté en 1997 – de nombreuses scènes mettent en scène ces ignobles personnages (femmes ou hommes, voilà qui vous a un air nouveau cependant) qui veulent par la force des armes faire triompher leur idéologie imbécile).

à gauche Wassila, à droite Nedjma (Lyna Koudhri)

Mais non, ces jeunes femmes veulent vivre libres, insouciantes, désirantes et désirables, insoumises. Les garçons (peu nombreux, mais seconds rôles assez machistes)

draguent assez gentiment – mais l’idée qu’une femme puisse être libre les insupporte. Dommage sans doute. Elles sortent, en taxi se refont leurs maquillages.

Vivantes.

Cependant, les meurtres terribles (la soeur de l’héroïne, Linda (Meriem Medjkrane), meurt en pleine rue – scène magnifique) et les exactions, les chantages, les pressions sont partout. Les hommes dominent, les femmes se voilent et se taisent. Mais parfois tuent, elles aussi.

Les jeunes files jouent pieds nus au football, entre elles, on se bat – en réalité, la bataille est peut-être perdue mais on la livrera quand même.

Il y a l’héroïne Nedjma (Lyna Khoudri) qui veut devenir styliste – tout tourne d’ailleurs, en réalité aussi, autour des vêtements – il y a ses amies qui défileront habillées de ses robes, il y a la directrice de l’école (Nadia Kaci). Dans Alger, la ville qu’on voit parfois.

Il y a beaucoup plus : il y a que le film, sorti à Cannes et assez remarqué pour être projeté ensuite à Paris et ailleurs, ne sortira pas en Algérie. Pourquoi ? Mystère (pas épais le mystère, vraiment pas : mais tous les vendredis on réclame à corps et à cris la liberté – de vivre, tout simplement). Et ce qui est plus surprenant peut-être (le film est une coproduction entre la France, l’Algérie, la Belgique et le Qatar), le film représentera l’Algérie aux Oscars dit-on (février 2020).

Nous verrons. Ce qu’on en retient, cependant, c’est cette grande douceur qui peut exister dans les relations entre humains (parfois) quel que soit leur genre…

ici Nedjma avec sa mère qui fait cuire des beignets

Papicha, un film de Mounia Meddour.

Paris : « Deux moi »

Ça commence, mais ça ne commence en réalité pour personne : il s’agit de poser une musique sur la platine et d’écrire ce qu’on pense d’un film. C’est un peu compliqué parce qu’on doit naviguer entre une vague suggestion (il y a toujours, il me semble, cette vague odeur d’influence qui dégobille quand on parle des médias), un désir de faire partager ce qu’on aime, et un élan critique qui se permettra de pointer, ici, là, ailleurs et encore ailleurs, les défaillances de certaines scènes, acteurs, scénarios – le cinéma est trop complexe pour laisser la place aux amateurs, c’est vrai, mais malgré tout, c’est un passe-temps destiné à tout le monde et n’importe qui – ça devrait être remboursé par la sécurité sociale, mais non (souvenez-vous de cette chanson magnifique).

Mais d’abord la photo d’entrée de billet : il s’agit d’une actrice qui a débuté sa carrière vers soixante treize ans avec ce réalisateur, comme silhouette – elle incarne ici une utilisatrice d’internet (je suppose) qui a reçu des milliers de pastilles d’ecstasy à la place de ce qu’elle avait commandé pour ses cent ans (c’est assez plausible, dans le film) : elle parle au téléphone au type à droite de l’image (3° image ici) (barbalakon, c’est normal – pardon) – il exerce ce métier et répond au téléphone pour le wtf livreur. Cette image de Renée est mise en exergue parce qu’elle nous a quitté, Renée Le Calm donc, en juin dernier (elle avait cent piges), alors comme elle est marrante – et qu’on l’a aimée assez dans « Chacun cherche son chat » (un des films commis (en 1996) et réalisé par le type à gauche de l’image numéro 3, Cédric Klapisch) : un hommage.

Et puis ça commence vraiment : ça se passe à Paris.

On ne le voit pas exactement d’ici, mais les deux protagonistes du film (ces deux fameux « moi ») habitent l’un à côté de l’autre au centre géométrique de cette image (à peu près : un zoom avant indiquera (mais c’est pour plus tard).

Allons.

Entre eux deux, c’est Ana Girardot (Mélanie) ; le type de droite c’est François Civil (Rémy). C’est une histoire ordinaire disons. Deux personnes, jeunes gens la trentaine, assez solitaires mais pas tant que ça, tentent de survivre dans ce monde idiot. Puisqu’ils sont un peu dans une mauvaise passe (un peu seulement il faut dire : ils dorment mal, simplement), ils vont consulter.

Normalement « consulter » est un verbe qui, si on ne le fait pas suivre de celui ou celle qu’on va consulter (garagiste, voyante), ou quelque chose comme son compte en banque ou son courrier présume qu’on va chez un psy. C’est le cas pour les deux : ils dorment mal, ils vont consulter.

Lui un homme (François Berléand, compréhensif et doux)

Elle une femme (Camille Cottin, compréhensive et douce)

Les dispositifs sont un peu différents : elle est allongée (en analyse), lui est assis (face à face en psychothérapie) (on shunte sur le fait que, ni lui ni elle n’acquitte son dû au professionnel – mais il s’agit d’une de ces ellipses dont le cinéma aime à se parer : dépêchons).

Ces séances émaillent le film, mais comme pour quiconque, elles n’empêchent pas de vivre

même si c’est un peu difficile

et il faut aussi quand même manger

c’et sans doute le plus intéressant ou rigolo, ou encore bien trouvé du film (c’est, en réalité en ça que le scénario est formidable) : souvent ils se croisent

souvent ou seulement de temps à autres, mais ne se rencontrent pas

dès le début à la pharmacie

dans leurs maux mêmes, ils se ressemblent (et puisqu’il s’agit d’une romance – je ne l’ai pas encore dit, mais oui, c’est une romance – une histoire d’amour disons – c’est de cette tension dont il s’agit : la rencontre entre les deux protagonistes, menée avec simplicité et finesse). Il y a ce lieu, cette épicerie

quelque chose de l’orient

et l’épicier (Simon Abkarian, dans le rôle : magistral) – une espèce de témoin –

lui qui les connait tous les deux – comme un lien, un passage, un sas – les deuxièmes rôles, ces anges gardiens du cinéma –

(au fond de l’image ici, le pharmacien – Zinedine Soualem – c’est le quartier, le monde où ils sont vivent) (et c’est surtout aussi et vraiment Paris, la ville cette ville cosmopolite ouverte et hospitalière) (Paris, c’est ça) – cette image de l’épicerie prise par le robot

c’est ça, c’est Paris

(pour mémoire : on trouve en bas de ma rue cette enseigne aussi)

Deux moi, un film de Cédrick Klapisch.