à Becky Moses
Voici le troisième (même le quatrième : débutée par un court-métrage , A Chjana que je n’ai pas vu) (c’est l’histoire de cette petite ville qui nous est depuis racontée) troisième long métrage donc que Jonas Carpignano consacre à cette petite ville (Gioia Tauro se situe à une trentaine de kilomètres au nord de Reggio de Calabre; un terminal de conteneurs (deuxième de Méditerranée dit-on), un site un ancien (moins six cent cinquante avant notre ère, Matauros qui a donné pour partie son nom à la ville) comptoir grec, un musée archéologique donc) – une petite ville. Des habitants (quelques vingt mille), des commerces, des boutiques – le premier de ces films, Mediterrenéa (2015) montrait les périples de deux amis, noirs, pour aboutir ici (l’un d’eux, interprété par Koudous Seihon, joue un petit rôle dans ce film-ci) – terreur et racisme mais existence quand même (on pense au maire, Mimmo Lucano*, de la petite ville de Riace (de l’autre côté de la presqu’île) condamné à treize ans de prison pour avoir accueilli des réfugiés Kurdes (entre autres) chez lui (ils furent Kurdes, ils eussent pu et furent tout aussi bien être Soudanais Syriens ou quoi que ce soit : ils (et elles) étaient des frères…) – le deuxième, A Ciambra (2017) s’intéressait à la communauté rom qui, ici s’est fixée, sédentarisée (bidonvilles et caravanes de rigueur) où un jeune type (interprété par Pio Amato, qui fait ici une apparition) tente de devenir grand (passer à l’âge adulte, un âge fait de vols, de blessures et de violences, de trahisons) – ce ne sont pas films tellement légers, mais la position et les dispositions des héros semblent réelles – la caméra reste au plus près, souvent, des personnages (fatigante parfois,certes).
Pour ce troisième film, A Chiara (2021) il s’agit de se tenir au plus près d’une jeune fille, (quinze ans), Chiara – disons qu’il se trouve qu’elle est italienne. Elle vit dans une famille dont le père exerce la profession de revendeur de drogues – elle ne le sait pas encore quand débute le film : elle court sur un tapis immobile
Chiara (Swamy Rotolo) donc (c’est après lui que, durant tout le film, elle courra : le rejoindra-t-elle jamais ?) – puis dans la longue séquence suivante, on fêtera les dix-huit ans de sa sœur Giulia (Greca Rotolo) ici entre leur père et leur mère
Grande fête, où la famille boit ripaille danse joue – la famille, ici, réunie de profil
il s’agit d’une vraie famille (vraie veut dire que, dans la vraie vie – et non au cinéma, sur l’écran disons – pas seulement – ce sont des liens qui unissent père, mère et enfants – trois filles – la petite , Giorgia – la mère Carmela est jouée par une actrice (Carmela Fumo). Ce n’est pas qu’il s’agisse d’un documentaire cependant. Non plus que d’une fiction, tu me diras, quelque chose d’hybride (j’ai pensé à cette série photographies qu’avait présenté Mathieu Pernod au musée de l’histoire de l’immigration il y a un moment, ou au Jeu de Paumes plutôt où il a suivi des années durant une famille rom) : vrai ? peut-être…
Un jeu d’images de cette ville – vraie – autant que peut l’être une image – ici
ici une du film
puis un autre jeu
Alors Chiara cherche son père qui disparaît le soir-même où on fait brûler sa voiture – il part – « tout est sous contrôle » dira la mère – cette quête d’un père absent sera le moteur de l’histoire mais plus profondément c’est son identité que Chiara tente de découvrir – violence ? puisque c’est une fille les choses sont un peu déplacées mais elle court, cette fille, elle court et interroge
veut savoir
cherche à comprendre
Parallèlement, les relations avec le monde le reste du monde se gâchent – dès le début du film, l’arrogance du droit du sol comme ils disent la tient, elle – à une jeune fille rom installée là elle ordonne violemment de partir – la rom part – quelque chose de la suprématie du dominant blanc – ignoble oui – plus loin, elle la blessera au visage, défigurée – une horreur ? oui encore
Il y a pourtant un problème – grave – je me souviens de mon prof de socio qui me disait en souriant « vous êtes un moraliste » – on doit éloigner les enfants de leurs parents afin que la violence et l’appartenance forcée (que Chiara recherche) à la mafia ne les contaminent pas, certes – enfin peut-être – enfin j’en sais rien – mais pour une fin heureuse peut-être
on fêtera dans les mêmes conditions (toutes choses égales par ailleurs : dans une autre famille – celle d’adoption) les dix-huit ans de Chiara… laissant, par là, les roms dans leur condition – blessés, dominés et parias
A Chiara un film de Jonas Carpignano
* Mimmo Lucano a écrit un livre, Grâce à eux chez Buchet-Chastel, sous titré Comment les migrants ont sauvé mon village. Titre original : Il Fuorilegge (Le Hors-le-loi). Dans ce livre, il explique qu’une des personnes qu’il a tenté de sauver s’est retrouvée morte brûlée vive dans le campement (à San Ferdinando, qui jouxte Gioia Tauro…) réservé aux parias de ce monde, déshérités, dominés, que sont les réfugiés : c’est à cette femme, Becky Moses, qu’est dédié ce billet. Pour ne pas oublier. La condamnation de Mimo Lucano a été actée par des affidés de l’ignoble Matteo Salvini (lequel est copain comme on sait et comme cochon et cul et chemise avec la fille du borgne qui nous promet de tels agissements – elle sera, j’ose le croire et ferai tout pour, renvoyée dans sa très chère résidence clodoaldienne (volée sur héritage, comme il se doit dans cette espèce d’engeance, par son ex-tortionnaire de père) dès dimanche prochain, vers vingt heures une).