Il s’agit d’une ville au milieu de l’Amazonie, au nord du Brésil, là où le rio Negro rejoint l’Amazone. Une ville, un port. Capitale, trois millions d’habitants. Sur le port travaille Justino, comme surveillant agent de sécurité armé protégé d’un gilet pare-balles. Il rentre en car
plusieurs fois, on l’en voit descendre et prendre le chemin de chez lui : voir comme il regarde sur sa droite, c’est comprendre qu’il entend, par là, venant de là, quelque chose – on ne sait pas mais on entend. Il traverse. Formidable travail du son dans ce film. Il commence par
quelque chose comme ça – la forêt, la brume, peu de ciel et beaucoup de terre, formidable aussi comme on se sent étranger – quelque chose nous dépasse. Exactement ça. Puis on découvre le héros, Justino, ordinaire, normal, standard comme toi ou moi, un type qui travaille pour gagner sa vie : ce plan-là
on aime à voir cette longueur, on se dit qu’il va ouvrir les yeux, on entend à nouveau des bruits, des cris peut-être, peut-être pas des chuchotements, aigus sans être agressifs, des présences – passent le temps et le générique
dans les ombres, le temps les bruits – le monde bruisse – l’homme vit plus loin, avec sa fille (montage parallèle, on la voit travailler dans un centre de soins)
elle lui annonce sa réussite à un concours qui le rendra docteure en médecine, mais les études se déroulent à Brasilia (c’est à mille kilomètres d’ici – elle va s’en aller) ( il le faut : Justino le lui dit, pars ma fille) loin – le travail continue (il y a une chanson de Jacques Higelin qui fait « pars/fais ce que tu dois faire /sans moi ») (j’adore) (elle fait aussi « quoi qu’il arrive je serais toujours avec toi » – tout à fait ça) (nos cultures sont différentes mais elles se rejoignent pour peu qu’on les adopte) – le travail contraint force assomme torture
le fleuve les containers les navires les bruits – les abrutis de collègues de travail – l’horreur habituelle de la subordination –
(je ne suis souvenu d’une des séquences de Villages visages (Agnès Varda, 2018)) le travail
pas seulement graphique – le fleuve comme une espèce de fond sonore
au loin, même ici il est peut-être trop présent mais il est là – un décor – et Justino subit une fièvre
inexplicable
revenir
habitudes
travail
quelque chose d’étrange
un rêve certainement (une bête dans la jungle)
je ne raconte pas tout, seulement cette ambiance
nocturne onirique
magnifique – d’autres développements, une histoire qu’il raconte à son petit fils
un repas en famille
une façon de raconter formidablement diffuse – formidablement original
et surtout aimer et survivre…
Parfait.
La Fièvre, un film de Maya Da-Rin (2019), avec des acteurs tellement justes (Regis Myrupu dans le rôle de Justino : extra – léopard d’Or je crois bien Locarno 2019)