Vers les terres vagues

Pour préparer la marche je fais des ronds dans l’eau, des tours de propriétaire qui s’étendent dans quatre directions, déliant, en plus du temps qui m’est donné, la souplesse de mon pas. Des chemins aussi je teste l’élasticité, rôde, aspire, prends l’air. Je prends tout, l’ail des ours plein les narines et une quantité de protons plus toutes sortes de particules fines. J’aspire les pollens et filtre, par l’épuisette de ma bouche, de mes yeux, de mes oreilles, ce que contient la grande flaque d’air où je me meus. Mes cheveux sont étoilés, électriques, c’est walk around depuis des semaines, un exercice préparatoire pour estimer l’effort nécessaire, mesurer l’écart à chaque pas et le poids des chaussures, la résonance sur le ballast, la mollesse des bords de fossés. La silhouette d’une petite vipère écrasée sur le bitume l’été dernier me revient en mémoire. Des morceaux de sacs plastiques déchiquetés frémissent et se confondent avec le revers blanchâtre des feuilles vraies de peupliers. Partout des arbres en troupeaux, en bêlements de verdure, c’est cette profusion qui fait la force du printemps malgré le bruit des tronçonneuses consécutif aux tempêtes et les grands cyprès couchés qu’on a commencé à ranger au carré. Il y a à leurs pieds tout un arpent de sol dressé à la verticale, ce sont les racines dont il faut se défaire, en plus de l’arbre, puis les trous qu’ils font maintenant au jardin dans lesquels on pourrait se cacher. Quelqu’un tape au loin, sur du bois puis sur du métal. Je prends le chemin droit qui ronfle comme une cataracte et débouche sur une mer océan dans laquelle l’odeur me plonge immédiatement.

Photographier le panneau « Aire à virer » en imaginant qu’on m’ouvre l’étendue spacieuse, qu’ici je peux manœuvrer à mon aise. Espoir d’apercevoir prochainement une Aire à dériver, des appels d’air, des bulles d’air, de partir voguer sur mes lignes d’erres… Mais après les pancartes il faut s’en retourner, rentrer par la bordure grise de la route. Toujours marcher du côté de la main qui écrit, c’est un pense-bête.

Virginie Gautier


Préparer son trajet, en ignorant la route, la destination. Quelque chose est pourtant tendu, comme une trajectoire, un déplacement va avoir lieu, a déjà lieu. Le corps se retrouve dans un espace défini par ce que les sens perçoivent, d’abord à l’arrêt. Un lien se fait entre le paysage où posent les pieds, les sens, l’esprit, la décision. Puis, la marche s’enclenche, les gestes naissent de ce mouvement. Tourner la tête, regarder, photographier, lire et déchiffrer ce qui se présente peu à peu à nous. Prendre conscience des bordures où l’on marche, de ces marges où le trajet se fait, et du point de vue particulier que c’est.