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Oni Armistead

lundi 18 novembre 2019, par Chloé Di Nardo

J’écris pour me souvenir. Me souvenir de qui je suis et d’où je viens dans un monde où tout le monde oublie et cherche à disparaître.

Je m’appelle Oni car mes parents sont mordus de mythologie japonaise.

J’ai grandi en Argentine et on me demande souvent d’accueillir les nouveaux membres de la communauté originaires des pays hispaniques.

Mon oreille gauche est un peu déformée, autrefois mâchonnée par le lycanthrope de notre voisin monsieur Grobidou. Cependant, ce qui attire le plus l’attention c’est mes yeux : un brun qui fait écho à mes cheveux roux et l’autre bleu qui pose un regard perçant sur le monde qui l’entoure.

Un jour, j’ai failli me casser une dent à la ferme urbaine en trébuchant sur un outil mal rangé. Mon père m’a conseillé de porter un casque en me répétant que ma maladresse finirait par me tuer, mais ce n’était vraiment pas de ma faute cette fois-ci.

Parfois, quand je regarde dans le miroir, je reconnais dans mon oeil brun l’expression hantée qu’avait ma mère avant de mourir et je déteste ça.

Papa risque de perdre son travail à cause de la robotisation incessante des employés du Lidl. Il pense venir travailler à la ferme avec moi pour me protéger des outils mal rangés et de l’engrais infâme produit par les ours pelés qui agresse mes narines un peu plus chaque jour.

J’ai rencontré une jolie fille la semaine dernière avec qui je pensais pouvoir devenir amie, mais, ce matin, les Hauts Quartiers l’ont convoqué pour une réunion d’urgence. Je n’ai pas de nouvelle ni d’elle ni de son petit frère depuis. Je suis inquiète.

Je déteste les chauves-souris. Un jour, j’ai retrouvé une pipistrelle coincée dans le bac à compost et elle m’a écorché un coin du visage en s’échappant. Depuis, j’ai une cicatrice étrange qui déforme le côté de mon oeil droit, comme une ride qui ne devrait pas être là. Cependant, je me garde bien de partager mon aversion pour ces créatures. Tout ce qui est utile à la communauté doit être honoré.
On nous a placés, mon père et moi, à proximité du Lot J. Il m’a fallu plusieurs semaines pour m’habituer aux bruits s’élevant du bar d’en face, mais j’ai désormais appris à aimer cette animation. Une agitation sous ses fenêtres témoigne d’une vie à proximité et moi, de la vie, j’en ai bien besoin dans ma petite vie maussade.

J’aurai 26 ans dans 6 mois et 12 jours. Chaque nouvelle bougie de soufflée est une bénédiction.

J’adore chaparder des livres sur les étalages du marché et les remettre à leur place la semaine d’après. Je ne les lis pas, je les conserve juste précieusement sous mon oreiller. Braver l’interdit me fait me sentir vivante et me terrifie en même temps. Je ne sais pas pourquoi je continue à le faire, un jour je vais me faire prendre et être expulsée de l’éco-quartier. Le plus étrange, c’est que je ne sais pas si je souhaite que cela arrive ou non. La vie à l’extérieure est affreuse, je le sais, mais également beaucoup plus simple.

Depuis que papa m’a dit que les carottes de la ferme avaient un goût bizarre, je les surveille bien plus attentivement durant mes horaires de travail. À part leur taille qui dépasse désormais les un mètre et demi, je n’ai rien remarqué de particulier.

On ne m’a jamais demandé ma couleur préférée, pourtant, je m’arrange toujours pour porter quelque chose de violet sur moi en espérant qu’on me pose la question.

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